Smoke
White Williams
Imaginez que vous rentrez seul après une soirée très arrosée, largement saturée en toxiques. Leur effet euphorisant va encore durer deux ou trois bonnes heures : vous vous sentez bien et excité. Du fait d’être désormais livré à vous-même, vous prenez cependant conscience, petit à petit, que vous n’arrivez pas à marcher droit, que vous avez particulièrement de mal à trouver la serrure et qu’une fois chez vous, vous vous cognez étrangement à tout. Vous sentiriez même votre tête tourner légèrement. Cela étant, rien de grave, une bonne nuit de sommeil réparera le trouble. Alors vous profitez de cette situation particulière pour vaquer à vos occupations, le plus normalement du monde, gai comme un pinson en faisant tout de travers.
Imaginez maintenant que vous êtes un Compact Disc. L’exercice se complique. Vous n’êtes pas un album précis, vous changez plus ou moins au gré des contextes. Eh bien, lors de cette soirée très festive où vous avez beaucoup consommé, vous étiez le Made in Dark d’Hot Chip ou bien, je vous laisse le choix, le Nights Out de Metronomy. Toujours est-il qu’une fois dans votre logement, à rire seul, à sentir poindre la nausée, dans ce moment bizarre où vous glissez sur le parquet, cassez malencontreusement une assiette et vous endormez finalement sur le canapé, vous ne pouvez être que le premier album de White Williams, Smoke.
Pour éviter tout diagnostic sur la personne de Joe "White" Williams, on préfèrera donc mettre sa musique sur le dos d’un état second. Si Smoke n’est pas sans rapport avec la pop électronique des groupes précédemment cités, son traitement, lui, confine à la folie. Avoir tourné avec Dan Deacon n’est à ce propos pas un gage de bon sens. Mais quand Deacon utilise son esprit détraqué aussi théâtralement qu’un Freddie Mercury, White Williams aspire à plus d’intimité. Sa synth-pop ne s’emballe jamais et se pare de nombreux riffs de surf music ("In the Club", " The Shadow"). Excepté l’interlude sadomaso "Lice in the Rainbow", les neuf chansons de Smoke sont vécues par White Williams comme des ballades au coin du feu. Aucune exhibition de son déséquilibre, tout est désaxé dès le départ : guitares mal accordées, claviers éhontés, voix douteuse et chœurs improbables. Avec ce matériel, il va finalement arriver à nous amadouer comme n’importe quel autre songwriter. La tâche n’était pas facile et l’on finit même touché par cette ode à la musique boiteuse ; cette douce démence d’appartement.