Slowly Exploding: Ten Years of Perc Trax
Various Artists
« Vous ne vous êtes pas approchés d’une réalité palpable : feu ardent, obscurité, ténèbres, ouragan, bruit de trompette, et clameur de paroles telle que ceux qui l’entendirent supplièrent qu’on ne leur parlât pas davantage. » (Hébreux 12, 18-19)
Tu bouffes de la techno, partout et tout le temps. Le matin avec tes corn flakes, au lit avec ta femme, en club ou au cours d’aquagym : tout est techno. Tu te sens à l’aise en société quand tu peux évoquer le dernier EP de Stroboscopic Artefacts, tu parles de Surgeon comme de ton frère et tes potes finissent par te reconnaître un certain goût pour la chose dure, froide et binaire. Tu n’étais peut-être pas un mordu de la chose il y a encore cinq ans mais depuis, tu as rattrapé ton retard et tu serais même capable de réciter les sorties de Karenn dans l’ordre chronologique. Tu aimes bouffer de l’acier et tu as bien raison. Tu sais aussi que chez Goûte Mes Disques on a des réflexes d’instituteurs frustrés et que, quoi que tu fasses, tu pourras toujours mieux faire. A nos yeux, tu devrais toujours être plus en avance. On est toujours le con de quelqu’un, tu le sais, alors que nous ne répondons que de l’autorité d’Obama et des Anonymous. Mais si on agit comme des grands frères forcément très prétentieux, c’est parce qu’on t’aime plus que tout et qu’on te souhaite ce qu’on considère être le meilleur pour toi.
Ici on adore la techno (enfin, au moins votre serviteur), on s’est imprégnés de tous les fantasmes et de tout le décorum qui en font son palais de verre (Detroit, la génération post-apartheid, le Berghain, l’universel sonore, bla bla bla) et la hype autour du genre ne nous touche, pour ainsi dire, pas beaucoup. Il n’existe pas de tendance, que des bonnes et des mauvaises musiques. C’est peut-être pour ça qu’au-delà de notre amour pour des structures telles que Prologue, Stroboscopic Artefacts ou Token, on porte un amour si dangereux à Perc Trax. Comme si toute la musique techno d’hier et d’aujourd’hui pouvait être intégrée au travers de ce filtre finalement si délicat. Certains nous diront que ce label est trop brutal, qu’il tape trop dans les jambes pour être bien compris. Nous, de notre côté, on n'a pas envie de parler de prise de risques, d’audace ou de quoi que ce soit de métaphysique pour vous parler du label de Perc.
Pourquoi? Tout simplement parce que ces dix années de sorties sont justes, à leur place, pleines de trésors dont la portée résonnera pour les vingt prochaines années. Il n’y a aucune pose noise/acid, aucune volonté de taper dans le revival dans lequel le label a été forcé de vivre. Tout ici n’est qu’instinct, urgence et abnégation. Perc Trax, et les onze inédits qui font cette compilation (et sa sélection mixée qui l’accompagne) ne jouent pas la carte de l’hybride cool, une forme conscientisée de techno qui plairait nécessairement aux nouveaux venus. Le label ne calcule rien, joue autant de noise que de musique industrielle. Et par le plus grand des hasards cette forme d’urgence totale a pris la forme d’une musique binaire jouable en club. Slowly Exploding c’est l’amour total de la transe, du cœur et de l’introspection dans le bruit. Le vrai, celui qui parle à ton bas-ventre (bite et foufoune compris), qui ne te laisse aucun espace pour divaguer et intellectualiser. Tu ralentis la cadence, tu meurs.
Tu l’auras donc compris, on ne te laissera pas terminer l’année sans que tu ne fasses un détour par ce disque-balise, en espérant que tu finisses par connaître l’histoire de ce label aussi bien que tu parles d’Inigo Kennedy ou de Kangding Ray à tes proches pour en leur mettre plein la vue. Parce qu’on sait que si tu fais ça avec la même implication et le même talent que celui qui t’a permis de te mettre au niveau, tu viens d’ouvrir le quatrième cercle de l’enfer et c’est probablement la meilleure initiative que tu aies pris cette année.