Slowdive
Slowdive
L’histoire de Slowdive est celle d’un groupe qui avait pour lui un son caractéristique et le soutien de médias important, et qui a tout perdu à cause de son exigence, de ses choix artistiques et du tournant qu’a pris la musique en Angleterre dans les années 90.
Revenons brièvement sur cette carrière : 3 albums de 1991 à 1995, publiés sur un label (Creation Records) fer de lance d’un mouvement au nom peu flatteur inventé par les journalistes, le "shoegaze" ; un succès d’estime mis en avant par le NME, magazine qui a l’époque faisait la pluie et le beau temps dans le paysage musical britannique - une version papier de Pitchfork pour les plus jeunes. Puis cette carrière est allée en s’essoufflant pour aboutir à Pygmalion, un troisième disque planant et teinté d'électronique, peu accessible bien que de toute beauté, en forme de doigt d’honneur au virage Britpop que prenait la musique outre Manche. Ni une ni deux, Alan Mcgee, boss de Creation qui s’apprêtait à connaître la gloire avec Oasis, vire Slowdive. Le groupe sombre alors dans l'oubli de presque tous à l'exception de quelques initiés vénérant leurs premiers travaux, en particulier l'inégalé Souvlaki. Les différents membres du combo ainsi disloqué n’en arrêtent pas la musique pour autant. Rachel Goswell et Neil Halstead (les deux chanteurs-guitaristes) poursuivent leurs travaux sous le nom de Mojave 3, empruntant petit à petit la voie de la dream pop. Quant au batteur Simon Scott qui avait quitté le bateau avant la sortie de Pygmalion, il est parti explorer d’autres horizons abstraits et électroniques.
Cela nous amène à cette réformation en 2014, qui n’a pas grand chose d’original en cela qu’elle suit celles innombrables d’autres groupes phares des années 80 et 90, des Pixies à Blur en passant par Pavement ou les Stone Roses. De plus elle s’inscrit dans un revival shoegaze, les autres grands noms du genre s'étant tous mis à repointer le bout de leur nez récemment (Ride, Lush, My Bloody Valentine, The Jesus & Mary Chains). Cette réformation a démarré par une tournée mondiale dont nous avons eu l’occasion de voir une étape sur la scène de la Route du Rock à Saint Malo il y a deux ans. Cet été-là nous écrivions que le concert était un temps fort du festival, bien au-delà de ce que l'on aurait pu espérer : un public conquis, un groupe ému de connaître après 20 ans la reconnaissance et le succès qu’il n’a jamais eu à l’époque; une vraie belle surprise en somme. Mais était-il nécessaire de sortir un nouvel album après tout ce temps, au risque de gâcher ce retour, comme la jurisprudence Pixies nous l'a douloureusement montré ?
Le groupe a tranché, disque il y aura. Sur un label américain, Dead Oceans. Le voici donc, posé sur la platine, nos oreilles hésitantes prêtes à la déception comme à l'enchantement. Huit titres, deux faces, pour un album éponyme met définitivement de côté les expérimentations de Pygmalion pour revenir à l’essence du genre. Les Anglais assument ce qui a fait leur succès et ce pour quoi ils sont revenus, livrant dès l'entrée en matière "Slomo" un concentré de shoegaze pur jus qui n'est pas sans rappeler "Alison", leur hymne à eux paru en 94 et qui a largement contribué à les faire redécouvrir au public. Très bien produite et mixée par Chris Coady, le producteur de Beach House, la galette frappe par un son clair et un rythme plus rapide qu’il y a vingt ans, en particulier sur les moments de bravoure que sont "Everyone Knows" et "Star Roving". Quant à "Don't Know Why", il sonne comme un titre de leurs héritiers direct de The Pains of Being Pure at Heart. Et puis surtout, on retrouve avec un plaisir non dissimulé les voix de Goswell et Halstead qui alternent d'un morceau à l'autre pour finir par se répondre et se mêler sur la dernière piste "Falling Ashes".
Malgré tout ses atouts, on ne peut pas dire que Slowdive est un grand disque, et d’ailleurs il ne se suffit pas tout à fait à lui-même. Il est à prendre comme une revanche sans haine, la victoire sans remords d’un groupe qui avait tout perdu et qui revient en mettant en avant son talent, son abnégation et son envie de faire ce qu’il sait faire de mieux : de la musique, pour eux d’abord, toujours en se regardant les pompes, mais en se faisant plaisir, enfin.