Slime & Reason
Roots Manuva
A l'époque de Run Come Save Me, la sortie d'un album de Roots Manuva était un petit évènement, un moment attendu avec impatience chez de nombreux fans du natif de Stockwell. Il faut dire qu'à l'époque (nous sommes alors en 2001), Rodney Smith était l'un des rares porte-étendard des musiques urbaines made in England, quasi unique prétendant à sa succession – il y avait bien Mike Skinner pour remettre sa suprématie en cause, mais cette petite frappe n'a alors rien trouvé de mieux que de diluer son talent dans les libations en tous genres.
Mais voilà, depuis lors, le grime, le two step, et surtout le dubstep sont passés par là, faisant de la sortie du nouvel album de Roots Manuva un évènement que l'on aurait presque envie de qualifier de mineur si on ne connaissait pas les états de service passés de notre homme. Par ailleurs, le paysage musical britannique a entamé une telle mutation, qui se poursuit encore à l'heure actuelle, qu'on en arriverait même à douter de la pertinence même d'un album de cet indéboulonnable membre de la prestigieuse écurie Big Dada – qui compte également en son sein quelques poids lourds du genre, dont TTC, Diplo ou Spank Rock.
Evidemment, face à ce constat fort peu réjouissant, on se dit qu'il ne tient qu'à Roots Manuva de nous prouver le contraire sur Slime & Reason, lui qui par le passé a toujours été en mesure de se réinventer au fil des réalisations. Malheureusement, sur ce nouvel album, c'est carrément la légendaire inspiration du londonien qui semble s'être fait la malle le temps d'une petite quinzaine de tracks. En effet, sur la grande majorité des morceaux de Slime & Reason, on peine à retrouver le emcee et producteur à l'immense talent qui était en mesure de produire un hip hop qui savait être aussi festif qu'intelligent - tant sur la forme que sur le fond. Car si les choses commencent et se terminent de la plus belle des manières avec "Again & Again" et ses basses monstrueuses en ouverture de disque et le so(m)bre mais efficace "The Struggle" pour clôturer les débats, les douze autres titres de Slime & Reason voient un Roots Manuva en panne de créativité se perdre sur les plages ensoleillées de la Jamaïque et privilégier le côté ragga/dancehall de ses influences à de trop nombreuses reprises. Et quand bien même le rappeur londonien décide de jouer la carte de la nostalgie, il lui est difficile d'être convaicant, comme en témoignent "Kick Up Ya Foot" ou "I'm A New Man", soit des titres qui font pâle figure à côté de bombasses de la trampe de"Witness (1 Hope)" ou "Awfully Deep". En un mot comme en cent, une grosse déception.