Slant Face Killah
Conway the Machine
Sur une période qui couvre, grosso modo, la seconde moitié des années 2010, suivre l’actualité de la clique Griselda équivalait à vider le tonneau des Danaïdes. Tant Conway the Machine que Westside Gunn et Benny The Butcher multipliaient les projets (impeccables) et les featurings (remarquables) à une cadence qui rendrait fier n’importe quel patron d’entrepôt Amazon. Ces dernières années, les choses ont cependant changé : s’il est plus difficile de suivre les trois natifs de Buffalo, ce n’est pas parce que la cadence est inhumaine mais plutôt parce que la qualité est de moins en moins régulièrement au rendez-vous. Comment leur en vouloir ? Late bloomers dans un rap qui a aussi peur de vieillir qu’une influenceuse mode, ces trois-là se sont fait plaisir, multipliant les aventures parfois en dépit du bon sens. Vu le contexte, et malgré la très chouette mixtape Palermo en fin d’année dernière, on abordait ce nouvel album de Conway avec l’état d’esprit d’un Parisien qui devra traverser sa ville en transports en commun pendant les JO.
Commençons par ce qui ne va pas sur Slant Face Killah : sa narration est flinguée par quelques collaborations qui ne se refusent pas quand tu as charbonné dans les tréfonds du boom bap pendant des années, mais qui sonnent comme des vrais tue-l’amour pour le fan du format album. On peut citer en exemple de fausse bonne idée le titre réunissant Conway et Key Glock : si cela a du sens d’offrir un spot au trappeur d’Atlanta (et à ses 15 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify), dans les faits ce choix casse complètement la dynamique du projet. On pourrait dire la même chose du titre produit par le patron Swizz Beatz : on peut se féliciter de sa volonté d’emmener Conway sur de nouveaux territoires (c’est pas demain la veille qu’on entendra un pont aux accents reggae sur un de ses disques), mais peut-être aurait-il fallu garder ce genre de pépito pour une version augmentée histoire de relancer le compteur à streams dans quelques semaines.
Mais cette mise en garde ne doit pas nous faire oublier qu’on entend sur Slant Face Killah des titres qui tombent directement dans la catégorie « career high ». Parce que d’abord, Conway peut compter sur des producteurs qui le connaissent et l’apprécient. On pense tout de suite à The Alchemist, qui en profite pour confirme que son victory lap n’est pas prêt de s’arrêter sur « The Red Moon In Osaka », un titre fleuve porté par une guitare mélancolique sur lequel on retrouve non sans un certain plaisir ce canaillou de Raekwon) ; on pense aussi à Daringer qui pond le genre de « Griselda type beat » qui nous rappelle que Hitler portait bien du Hermès ; on pense surtout à un Conductor Williams des grands soirs qui ouvre le disque avec une boucle fatiguée mais imparable sur laquelle débarque un Stove God Cooks qui fait ce qu’il sait faire de mieux : voler la vedette. Album qui peut décevoir quand il est pris dans sa globalité, Slant Face Killah est un sacré paradoxe tant il impressionne par la qualité des individualités qu’il réussit à fédérer autour de lui. Et rien que pour ça, il mérite que vous lui donniez sa chance.