Skinty Fia

Fontaines D.C.

Partisan Records – 2022
par Quentin, le 22 avril 2022
9

Réduire un disque à une note peut paraître insultant mais l'exercice a quelque chose d'intéressant dans la mesure où il contraint au positionnement. Dans l'absolu, un chiffre ne dit rien sans les arguments qui vont avec. Dans le cas qui nous intéresse, sans aucune perspective sur le passé, Skinty Fia est probablement un "bon petit disque". S'il s'était agi du premier album de Fontaines D.C., rien ne dit qu'il aurait eu droit à une si belle cote. Ce n'est sans doute pas un classique instantané du "nouveau post-punk" comme a pu l'être Dogrel, mais il faut désormais prendre en considération la courte carrière du groupe, l'efficacité de la concurrence et le retour en grâce du genre depuis quelques années. À la lumière de ces quelques éléments, on se sent parfaitement légitime à défendre un chiffre.

En deux albums, Fontaines D.C. a démontré toute sa science d'un post-punk à la fois frontal et mélancolique. Et Skinty Fia fait bien plus plus que creuser le sillon, il démontre à quel point la finesse des arrangements du groupe sert une charge émotionnelle puissante. Les bases sont certes simples (de nombreux morceaux tournant sur deux accords), mais le résultat se révèle à chaque fois dense, riche et captivant. Cette fausse simplicité crée ainsi un attrait quasi hypnotique pour la musique du groupe, à l'image d'un "How Cold Love Is" de très haute volée. Une recette qui pourrait vite montrer ses limites mais qui visiblement n'en connaît aucune tant qu'elle est portée de la sorte par le chant de Grian Chatten, qui gagne en assurance et en magnétisme à chaque disque qui passe. Oscillant de manière permanente entre le flegme et une forme de rage contenue, le lad fascine. Mais Skinty Fia n'est pas uniquement l'affaire d'un seul homme, et un titre comme "Jackie Down The Line" démontre la capacité du groupe à se balader collectivement sur la corde raide. 

Skinty Fia se traduit en français par "la damnation du cerf". Symboliquement, l'expression est utilisée pour manifester la déception – dans le cas du groupe irlandais, celle de voir une culture étrillée par la mondialisation. Au final, ce troisième long format n'est rien de plus qu'un cri d'amour, une manière de se rappeler que ce qui leur appartient ne sortira jamais d'eux, et cet attachement viscéral passe notamment par les mots du titre "In ár gCroithe go deo", "À jamais" en français. Comme s'il avait fallu partir de l'Irlande pour mieux en parler, Fontaines D.C. fait plus que de sortir des disques, il nourrit l'imaginaire collectif.

"Vivement la suite". Voilà comment se finissait notre chronique de A Hero's Death, sorti il y a deux ans à peine. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'attente fut de courte durée et inversement proportionnelle à la qualité de ce Skinty Fia. Et la seule raison priver le disque d'un 10/10 est celle si souvent servie par les profs, le sempiternel "parce qu'il y a toujours moyen de faire mieux". La vérité, c'est qu'on n'est pas du tout certain qu'il y ait moyen de faire mieux, mais qu'on voudrait quand même croire en la capacité de Grian Chatten et sa bande à le faire. Vivement la suite, encore et toujours.