Sir Lucious Left Foot: The Son Of Chico Dusty
Big Boi
Depuis l'immense coup d'éclat Speakerboxxx/The Love Below en 2003 et le tube planétaire "Hey Ya", on a un peu trop tendance à limiter OutKast au dandy moderne André 3000 et à considérer Big Boi comme la conscience hip hop du groupe et une sorte de faire-valoir juste bon à débiter du flow au kilomètre pendant que le flamboyant André joue le serial lover et aligne les effets de manche.
Pourtant, avant de donner dans la saine dichotomie, le duo d'Atlanta renvoyait l'image d'un binôme solide et complémentaire, incarné par des galettes aussi indispensables que Stankonia ou Southernplayalisticadillacmuzik. Et donc aujourd'hui, malgré l'aura et l'influence énormes d'OutKast, de ce côté-ci de l'Atlantique, ce premier album solo de Big Boi débarque dans une vague d'indifférence qui n'est pas sans rappeler celle qui a accueilli le Only Built 4 Cuban Linx… Pt. 2 de Raekwon. On le sait aujourd'hui, l'effort solo du membre du Wu-Tang Clan s'est avéré être l'une des meilleures sorties hip hop de 2009, un diamant brut snobbé par un public qui a préféré se laisser berner par des sons optant pour le plus petit dénominateur commun, à l'image du paresseux et consensuel Blueprint III du patriarche Jay Z.
Ainsi, malgré les innombrables qualités de Sir Lucious Left Foot: The Son Of Chico Dusty, ce premier effort solo de Big Boi semble lui aussi promis à un joli succès d'estime et à des ventes en nombre limité par chez nous. Pourtant, comme le Only Built 4 Cuban Linx… Pt. 2 de Raekwon, ce disque de Big Boi est de ceux qui vous redonnent foi en une certaine vision du hip hop, à la croisée des chemins entre intelligence aigüe, velléités populaires et respect de l'underground. Loin des poncifs qui plombent aujourd'hui trop de productions, Sir Lucious Left Foot: The Son Of Chico Dusty est un disque entier, d'une fraîcheur et d'une force de frappe remarquables, qui a pris le temps d'arriver à maturation. Il faut dire que le rappeur de la Géorgie a pris le temps de bien faire les choses: ce disque, cela fait maintenant quelques années que l'on en parle et que des morceaux apparaissent à intervalles réguliers sur le Net. A ce titre, comment ne pas citer deux récents exemples qui figureront plus que probablement parmi les tous bons singles de 2010: l'énorme "Shutterbug" et son clip en mode Tron, et "General Patton" et son beat martial rehaussé de cœurs d'opéra. Une claque et une torgnole. Ces deux morceaux ne représentent au final qu'un petit bout de Sir Lucious Left Foot: The Son Of Chico Dusty, mais ils permettent néanmoins d'en appréhender les tenants et les aboutissants et d'obtenir un avant-goût finalement assez représentatif du niveau de qualité du disque.
Sur cet album solo, Big Boi démontre non sans conviction qu'il est bien l'un des rappeurs les plus inventifs et talentueux de sa génération, même s'il a parfois la fâcheuse tendance à vouloir se retrancher derrière une liste d'invités aussi prestigieuse que kilométrique - on retiendra notamment les présences de Gucci Mane, Janelle Monáe, George Clinton, T.I. ou Jamie Foxx, ainsi que l'absence suite à une obscure querelle entre labels du comparse de toujours André 3000, dont la contribution se limite à une maigre prod. Mais à l'arrivée, il subsiste derrière ces apparats de rigueur le flow élastique et mitraillette du MC d'Atlanta et l'incroyable variété des productions (soul, R&B, funk, Dirty South, tout y passe).
C'est certain, ce disque-là, aussi réussi soit-il, ne fera pas le poids face à la déferlante hip hop/électro qui empoisonne nombre de projets, mais il a ceci de rassurant qu'au moins une moitié d'OutKast tient la forme de sa vie, et que s'il en est de même pour André 3000, lorsque ces deux-là se retrouveront en studio, ils risquent fort d'écrire un nouveau chapitre incontournable de l'histoire tumultueuse du rapgame.