Silk Canvas

VanJess

 – 2018
par Aurélien, le 18 septembre 2018
7

Chaque été c’est la même rengaine: je prends la route sans vérifier la pression des pneus, ni le niveau d’huile de ma Clio. J'ai beau avoir mon permis depuis dix ans, je continue à accorder plus d'importance au disque qui va m'accompagner sur les routes qu'à la bonne santé du véhicule qui va me permettre de voir la mer. Il faut dire que ça me prend un temps infini de trouver les disques qui sauront me ramener aux cassettes audio que j’écoutais dans la voiture des parents, sur la route des vacances. Ces disques tantôt forts, tantôt imparfaits, toujours synchronisés avec les températures estivales et qui touchent par leur facilité à être écoutés des milliers de fois, sans jamais que la lassitude ne s'invite.

Il faut dire qu’à l'époque où j'étais minaud, entre un disque de Zazie et un autre de Mano Solo, on pouvait trouver dans la Ford Escord parentale L’école du micro d’argent, un album du Suprême NTM, ou encore la BO du premier Batman par Princel'un de mes indéniables préférés. Au son de ces disques que je connais désormais trop bien pour y apporter la moindre critique constructive, difficile de ne pas sentir malgré moi l'odeur des Marlboro que mon père fumait alors que je somnolais à l’arrière, doucement bercé par la lumière des réverbères et les neuf impeccables minutes de "Demain c'est loin". Des moments lointains qui me ramènent inlassablement en enfance lorsque je suis derrière le volant, et qu'aucun des ingrédients mentionnés ne manque à l'appel - à l'odeur de clope près.

Pour tout un tas de raisons, c'est tous ces souvenirs que je retrouve lorsque je parcours le premier disque de VanJess, alors même que bien peu de choses me prédestinaient à rentrer un jour en collision avec la musique des deux soeurs. Pourtant Silk Canvas ne devrait rien avoir du disque qu’on découvre par hasard: loin des extravagances délicieusement torturées d'un Frank Ocean, Silk Canvas est plutôt le genre de disque qui convaincrait n'importe quel écorché vif que les coups de foudre existent, tant il met la spontanéité au coeur de son processus créatif. Qu'on ne s'y trompe pas: on est en présence d'un disque plein d'âme, terriblement bien branlé et, plus important encore, catchy d'un bout à l'autre.

Car les soeurs Nwokike n'ont jamais cherché à cacher leur passif d'artistes qui s'amusaient à reprendre les morceaux de leurs artistes préférés sur Youtube. Tout du moins, jusqu'à réussir à s'en débarrasser avec le brio qu'on leur découvre ici. Au coeur des importants écarts de tempo traversés par le disque, la paire n'hésite pourtant pas à faire un savant inventaire de ses références: là où "Control Me" renvoie aux expérimentations de OVO, "Touch The Floor" ou "Best Believe" convoquent les tempos new jack de TLC ou Janet Jackson. Summum du culot: sur "Addicted" et "Through Enough", elles se permettent de marcher sur les plates-bandes de dvsn et Disclosure, transcendant les similarités pour parfois surpasser l'original, se l'approprier, et pourquoi pas le magnifier. Même le titre produit par Kaytranada fait mouche, alors que le canadien a de nouveau fourni une énième boucle aux basses rondelettes, sauvée in extremis par l'incroyable alchimie vocale du tandem nigério-américain. Bref, Silk Canvas, c'est une collection de tubes à la vibe 90's prononcée, aux influences digérées, et qui laisse un gros goût de reviens-y. 

Carte de visite qui a davantage valeur de succès d'estime que de carton commercial, le premier disque de Vanjess n'a pas grand chose à envier aux blockbusters du moment. Silk Canvas s'offre même un on-ne-sait-trop-quoi de singulier, d'intemporel. Peut-être aussi parce que par rapport à la concurrence, c'est un disque qui se partage, et qui met d'accord dès la première écoute sans pour autant tout révéler de son charme - ce qui en fait un disque parfait pour sillonner les autoroutes.