Silence Yourself

Savages

Matador – 2013
par Jeff, le 21 juin 2013
8

Parmi les pires erreurs de jugement qui soient, il y a l'illusion de penser que chanter en Anglais est une chose aisée. Il faudra donc dire à de nombreux groupes francophones que si de leur côté, il est toujours plus facile de se replier derrière des paroles laborieusement couchées sur papier dans la langue de Shakepeare, cela n'empêche pas l'auditeur de se morfondre devant cet Anglais mal appris, mal foutu et mal prononcé. Une langue que l'on pense maîtriser jusqu'au premier voyage à Londres où l'on n'entravera que dalle de ce que nous racontera le guichetier du métro à qui on demandera notre chemin.

C'est peut-être ce sentiment désagréable qu'a connu Jehnny Beth lorsqu'elle a débarqué de sa France natale dans la capitale anglaise, où elle y a fait la connaissance de Gemma Thompson, Fay Milton et Ayse Hassan. Pourtant, on doit aujourd'hui reconnaître à la Poitevine d'origine un don évident pour les langues. Rarement on aura entendu une Française s'approprier de la sorte une langue et ses codes, et ne pas donner l'impression de galérer pour enchaîner quatre phrases à la grammaire approximative dans une langue apprise en matant des Divx téléchargés sur The Pirate Bay. En effet, dans la forme, il n'y a pas plus anglais que Savages, quatre jeunes filles qu'on a découvert, comme pas mal de monde, lors d'un passage absolument électrisant chez cette vielle canaille de Jools Holland. Ce soir-là, la bande à la filiforme Jehnny Beth s'est fendu d'une interprétation complètement glaçante de "Husbands", un titre qui en deux petites minutes symbolisait bien les intentions d'un groupe qui n'avait jamais aussi bien porté son nom. Pas de poses inutiles ou de plan promo à la mord-moi-le-nœud pour cette récente signature de 4AD : tout tourne ici autour de la musique, et de la tension permanente qu'insuffle le groupe à son post-punk qui convie instantanément les fantômes de Joy Division dans une danse macabre parfaitement chorégraphiée.

Pourtant, malgré le coup de foudre instantané que peut déclencher le morceau susmentionné ou l'autre single "She Will", Silence Yourself est un disque dont l'économie de moyens ne facilite pas toujours la digestion. Car il y a dans cet enchaînement de fulgurances post-punk tant de rugosité et d'intransigeance que l'expérience se révèle parfois extrêmement éprouvante. Mais comme nous en conjure le groupe sur la face avant du CD: "Don't let the fuckers get you down". En effet, écouté dans les bonnes conditions et une fois balayées les réticences initiales, Silence Yourself écarte progressivement les cuisses et dégage une tension sexuelle dingue, comme il peut nous foutre une envie folle de tout faire péter en hurlant les refrains des brûlots les plus irrésistibles de l'album. A priori, on pourrait considéré Silence Yourself comme un disque monochrome et référencé, pourtant, la manière qu'ont les quatre Londoniennes d'éviter les courbettes passéistes et de s'approprier un genre est tout bonnement bluffante d'efficacité.

Le goût des autres :
7 Amaury L 7 Yann