Sick !
Earl Sweatshirt
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup : Doris, le premier album d’Earl Sweatshirt, fêtera l’an prochain son dixième anniversaire. Et en une petite décennie, la métamorphose fut folle : rien sur ce premier disque ne laissait penser que l'ado turbulent de la clique Odd Future deviendrait un artiste aussi passionnant; discret, mais dévoué à son art. Un statut et un talent qui lui ont permis une émancipation sans douleur du collectif qui l’a vu naître, troquant sa team de numéros dix (Tyler, The Creator, Syd ou Domo Genesis) contre une clique de perdants magnifiques (mais foutrement talentueux) comme MIKE, Mach-Hommy, Navy Blue ou MAVI. Autant de bougs qui, si vous nous lisez régulièrement, n’ont de cesse de nous faire tourner la tête avec leur rap sans refrains et leur production bien trop cryptique pour le commun des mortels.
Alors qu’attendre de plus de Sick ! que tout ce qu’on a pu dire de Some Rap Songs ou Feet Of Clay ? Déjà, qu’on entre en terrain connu côté format : on continue de refuser le cap fatidique de la demi-heure de musique pour s’obliger à ne conserver que l’essentiel. Pas de pulpe, que du jus - et concentré. Et comme ses deux prédécesseurs, Sick ! est cohérent malgré sa narration saccadée. Mais ce qui nous interpelle ici, c'est la bonne santé mentale de son auteur, plutôt connu pour faire parler ses démons sur des boucles crasseuses. De là à dire que Sick ! rivalise avec un best of de Patrick Sébastien, il y a quand même de la marge : on est loin de faire tourner les serviettes, et la noirceur s'invite volontiers à la fête – comme sur cette formidable ouverture produite par l’infatigable The Alchemist. Mais à l’opposé de ce que semblait pourtant annoncer son titre, Sick ! tend à exister au plus près du soleil californien : par moments, la production semble glisser comme le pneu d’un BMX sur le bitume d’un skatepark de Los Angeles - c'est particulièrement évident sur le lumineux "Lye", petit chef-d’œuvre de rap clair-obscur.
Signalons également l’inhabituel effort de sobriété de Zelooperz ou de Armand Hammer, uniques invités du disque qui se fondent dans l’univers du Californien. Notons aussi les formidables contributions du producteur Black Noi$e, qui semble avoir absorbé le meilleur de la scène beat de L.A du début des années 2010. Autant d’éléments qui font de Sick ! un beau moment de musique, sans doute moins marquant que ne pouvait l’être Some Rap Songs en son temps, mais tout de même très enthousiasmant dans sa volonté de laisser le chaos faire partie de l’équation, sans jamais prendre le dessus. Difficile donc de cacher notre satisfaction et notre soulagement : Earl va mieux, et sa musique n’en a pas pâti. Tout le monde, vraiment tout le monde est heureux, et vous n'avez idée comme on est heureux de pouvoir écrire ses mots en évoquant la carrière d'un artiste qui a bien mérité un peu de lumière dans sa vie.