Shaking the Habitual

The Knife

Rabid/Mute – 2013
par David V, le 26 mai 2013
5

La musique électronique a-t-elle encore quelque chose à nous offrir ? Ses textures ont été refourguées à la pop par le dealer David Guetta, son pouvoir d'attraction sur les dancefloor est entre les mains d'un petit geek décérébré du nom de Skrillex, et sa technologie devenue omniprésente fait fuir Daft Punk qui se paie un trip nostalgique vers la chaleur analogique des guitares de Nile Rodgers. Si la musique électronique ne possède plus rien qui la maintienne au-delà de notre présent, peut-elle encore nous dire quelque chose sur notre avenir ?

Il nous est permis d'avoir un peu d'espoir avec le retour, après sept ans d'absence, d'un grand groupe intègre qui a toujours le courage de fabriquer des chansons à base de synthés qui font blip-blip et de beatboxes qui font boum-boum. Si The Knife a pu gagner une position très influente, c'est grâce à une éthique de travail proche de l'artisanat de luxe lui permettant de signer un tube astronomique ("Heartbeats") dès ses débuts pour ensuite emprunter quantité de directions différentes, de la pop romantique ("Marble House") au ravage dansant ("We Share Our Mothers Health"), avec un permanent décalage malsain et froid. Depuis l'Olympe des purs, où on ne participe ni aux publicités Ikéa, ni aux bandes-sons des films de Baz Luhrmann, The Knife nous lance Shaking The Habitual.

Après écoute attentive de l’œuvre et visionnage de la vidéo de présentation, il est assez évident que la sève créative du groupe n'est plus en abondance et que la masse de travail cérébral est beaucoup trop importante par rapport à tout ce qui est amené par les sentiments et les intuitions. En clair, c'est un peu chiant et très prétentieux. Les différents morceaux tombent dans trois catégories. Premièrement, il y a les chefs d’œuvre : "Full Of Fire" et "Raging Lung" sont construits sur de belles fondations rythmiques et garnis d'une foule de détails inquiétants en évolution constante. L'écoute de l'album est justifiée amplement par ces deux titres de toute grande classe. Deuxièmement, il y a les nombreuses et beaucoup trop longues plages instrumentales qui, malgré certaines séquences intéressantes, n'arrivent à proposer qu'un ennui profond voire parfois un comique involontaire notamment sur "Old Dreams Waiting To Be Realized" où on attend sagement 19 minutes pour que strictement rien ne se réalise. On peut quand même sauver le resserré "Crake" qui hésite entre la scie sauteuse un peu grippée et les violons en phase d'accordage. Troisièmement, on retrouve les chansons atmosphériques où la voix de Karin Deijer Andersson est mise en avant et là, malheureusement, ça ne tient pas la comparaison avec ce que la chanteuse a produit en solo il y a quelques années (Fever Ray en 2009). C'est tout pareil mais en beaucoup plus mou ("Ready To Lose" en est le parfait exemple). Les textes sont toujours aussi incompréhensibles à cause du phrasé et de la tonne d'effets qui modifient les cordes vocales de la belle. Selon elle, les paroles sont à haute teneur politique. À côté des bribes d'interview, le seul contenu assez explicite est le texte officiel d'introduction de leur dernière vidéo où on voit une équipe de mecs danser sous les injonctions d'un enfant :A Tooth For An Eye deconstructs images of maleness, power and leadership. Who are the people we trust as our leaders and why? What do we have to learn from those we consider inferior?” Il faudra sans doute lire longuement les textes pour mieux percer les intentions et savoir si la rébellion proposée par The Knife est plutôt post-moderne lacano-barthésienne ou anti-structuraliste bourdieuso-beauvoirienne.

La grande qualité de Shaking The Habitual ne réside donc pas dans son écoute, qui est parfois assez pénible, mais plutôt dans sa description assez exacte de ce que notre avenir nous réserve: quelques éclairs magiques d'extatique angoisse au milieu de longs moments à s'emmerder comme des rats morts, le tout baigné par des incantations politico-morales. 

Le goût des autres :
6 Jeff 4 Denis