Serfs Up!
Fat White Family
Au cours des dernières années, le nom de n’importe quel membre de la Fat White Family aurait pu apparaître dans la rubrique nécrologique. Suite à une overdose, un claquage de foie ou une décapitation à la cymbale par un confrère contrarié. Mais avec leur ADN de cancrelat, les mecs sont équipés pour survivre à l’Apocalypse. Mieux encore, ils sont a priori capables de la sublimer.
Leur convalescence commune s’est amorcée à Sheffield, ville suffisamment proche de Londres pour aller faire la bise à maman le dimanche midi, mais pas suffisamment que pour traîner sous les fenêtres de leurs dealers habituels. D’autres auraient jeté leur dévolu sur un manoir en rase campagne (so The Cure) ou se faire griller le cottage cheese sur la côte californienne (so Arctic Monkeys), mais la Family s’est dit que, dans l’état misérable des choses, il valait encore mieux se faire chier sous le crachin, histoire de ne pas trop se donner de raisons de sortir d’un studio qu’ils ont pris la peine de monter eux-mêmes. Deux ans plus tard, le résultat est là, flamboyante première livraison sur le label Domino dont les représentants ont dû bien suer des tempes à l’idée de céder les clés de la baraque à ce tas de dégénérés.
Alors oui, Serfs Up! est un album de pop. De la pure à 98%, à peine coupée à la cendre de clope roulée. Vous exigiez de l’ampli en fusion, des refrains crasseux, des traces de vomi et des fesses à l’air ? Tant pis pour vous (excepté pour les fesses à l’air vu que Lias Saoudi ne se lassera jamais de s’aérer l’arrière-train en public). Vous aurez droit à de la flûte, des violons, de la boîte à rythmes, des chœurs vaguement grégoriens et même une percée d’auto-tune. En même temps, la fratrie Saoudi n’a jamais caché ses goûts éclectiques, de la musique populaire algérienne au ponçage intensif du Yeezus de Kanye (« la musique du mec le plus seul du monde » dixit Nathan Saoudi qui maîtrise plutôt bien l’art de la formule).
De son côté, Saul Adamczewski et son comparse de Insecure Men voguaient déjà vers plus de légèreté et il semblerait qu’il ait réussi à embarquer la troupe dans son sillage. D’entrée de jeu, "Feet" ressemble à une traîtrise camouflée sous un chaloupé disco et un phrasé de prédateur en chasse. Seul le très glam "Tastes Good With the Money" (avec Baxter Dury en special guest) pourrait passer pour un rescapé d’un album précédent, ainsi que cette inclination persistante pour les dictateurs (morts ou vivants) sur "Kim’s Sunsets".
Pourtant, aucun de leurs partis pris, aussi incongrus et divers qu’ils puissent sonner, ne fragilise la cohérence du projet. Serfs Up! ne tourne pas le dos à ses prédécesseurs, il se donne juste les moyens d’explorer ce que le groupe a probablement toujours planqué dans un recoin de sa tête. Cette fois avec les idées claires, une production chiadée et des musiciens sur leurs deux jambes. Un disque qui prend le temps de s’installer, qui se renforce à chaque passage et qui est prêt à bondir sur scène. De la pop qui parvient à faire danser sans feindre la joie de vivre ni prendre son public pour des imbéciles. Bel accomplissement pour des gars qui avaient encore la tronche dans la cuvette il n’y a pas si longtemps.