sentiment
claire rousay
Qu’est-ce qu’un album finalement ? Depuis 2017, claire rousay (sans majuscules, merci) en a sorti plus d’une trentaine, seule ou en collaboration, avec un record de 11 albums en 2020. C’est la King Gizzard de l’ambient pop. Or voilà : aucune sortie depuis décembre 2022, excepté quelques singles pour la forme. C’est parce que claire rousay préparait sentiment, son tout premier long format à sortir sur un label indé de renom : Thrill Jockey, qui lui a clairement donné les moyens de sortir son album de la maturité.
Elle n’a pas changé son mode de fonctionnement pour autant. claire rousay reste fidèle à son esthétique DIY : la grande majorité de l’album a été composé, enregistré et même mixé depuis son lit à Los Angeles. La référence bedroom pop est poussée à son paroxysme sur la pochette de l’album, où l’autrice-compositrice est photographiée dans le lit en question. Même la mise en scène de sa future tournée va jusqu’à recréer sa chambre en décor de spectacle. Une idée absolument géniale.
La plage introductive pose l’ambiance : un texto délibérément pathétique, où rousay s’apitoie sur son sort, est lu par un de ses potes, le compositeur Theodore Cale Schafer qui a trouvé le bon ton parmi une vingtaine de cobayes, pour enchaîner avec une bonne minute de bruits motorisés. Introduction qui contraste avec la première chanson, « Head », parfaite illustration au genre de musique proposé par rousay sur cet album (elle vend fièrement des casquettes “Emo Ambient” dans sa boutique en ligne). Une ballade larmoyante sur la pratique triste de la fellation qui se termine abruptement sur 10 secondes de silence, laissées ici par pure provocation.
N’y allons pas quatre chemins : l’album est sublime. La voix trafiquée de rousay porte pourtant toutes ses émotions, son jeu de batterie minimaliste rappelle Mimi Parker, la guitare est emo jusqu’au bout des ongles… La majorité de l'album est d’ailleurs jouée sur une guitare semi-acoustique à 5.000 boules généreusement offerte par Jeff Tweedy après le vol de tout son matériel.
claire rousay se positionne au centre d’un réseau de créateurs et de créatrices avec lesquels elle se sent en confiance. Pour un album de lo-fi, celui-ci regorge de violons, avant tout celui de Julia Brüssel (elle vient de Cologne) qui brille particulièrement sur la pièce centrale, instrumentale, à tomber par terre. Sa collaboratrice préférée more eaze (sans majuscules également, et avec qui elle a sorti le très beau Never Stop Texting Me) se retrouve aussi sur trois morceaux au violon et au synthé, dont « Sycamore Skylight », l’unique fois où rousay donne le meilleur d’elle-même dans la pratique qui l’a révélée aux amateurs : l’intégration de field recordings dans ses compositions ambient pop.
claire rousay s’enregistre en permanence et intègre souvent des scènes de la vie captées par un enregistreur. La fin du disque voit s'enchaîner une conversation volée où rousay parle de casual sex à l’heure du brunch et un titre où la positivité toxique se mêle à la guitare de Hand Habits. Particulièrement candide avec la dépression, les relations foirées, l’alcool, le sexe triste… Sur sentiment, claire rousay enchaîne la plus belle musique jamais composée dans un lit avec les tranches de vie les plus crues.