Sensational
Erika de Casier
"You want drama? I'll give you a reality show"
Il est vrai qu'Erika de Casier ne se complait pas dans l'exubérance. Elle raconte sa vie, affreusement normale. Née au Portugal de parents belges (aight) et capverdiens, élevée au Danemark, elle a également passé une année aux États-Unis. Erika de Casier a commencé à fréquenter le collectif house Regelbau, basé à Copenhague, avant d'ébaucher un titre, "Puppy Love", qui a tapé dans l'oeil de DJ Central, membre du collectif. Les deux joyeux lurons se sont ensuite partagé les tâches de coproduction sur le premier album de la chanteuse, Essentials, sorti sur son propre label Independent Jeep. Doté d'une esthétique Y2K fleurant bon le rose pimpant des Mean Girls, Essentials tirait sa sensualité et son élégance du R&B des 90s, et enrichissait sa proposition avec des instrumentations allant du G-Funk à la jungle, en passant par le downtempo, avec ici et là des touches de sophisti-pop. Une formule suffisamment convaincante que pour sortir son deuxième album chez le légendaire label anglais 4AD, qui a compté dans ses rangs, entre autres, Cocteau Twins, Pixies, ou plus récemment The National.
Cette signature ne signifie pas la fin de l'indépendance pour de Casier, au contraire. Encore une fois co-productrice (au côté de Natal Zaks), mais également autrice-interprète, réalisatrice des clips, ainsi qu'artwork designer, l'esprit DIY n'est pas seulement une méthode de travail : c'est le centre même du discours de Sensational. Adieu aux histoires contant les diverses étapes amoureuses du premier album: ici, de Casier s'impose comme une femme indépendante et unique maîtresse de sa propre vie. "Someone to Chill With" est sa façon d'indiquer qu'elle n'a besoin de prendre appui sur personne, tandis que "All You Talk About" est un hymne anticonsumériste – où l'homme ne pouvant offrir à sa dulcinée que de vulgaires diamants en guise d'amour se voit rejeter.
La simplicité est un des moteurs de l'album, non seulement à travers les sujets traités mais surtout dans les paroles, directes et sans métaphores alambiquées. Cette légèreté laisse à la production l'espace nécessaire pour dévoiler toute l'étendue de sa subtilité. "Busy" fusionne des harpes électroniques avec des vocalises à la Aaliyah et un beat garage, tandis que "Polite" est une incarnation moderne de Sade, un délice de pop sophistiquée s'appuyant des éléments de soul et de smooth jazz, et même une référence à Tupac. Ces références du passé sont omniprésentes dans l'album, que ce soit par des touches d'eurodance, des boucles house, ou des mélodies que Max Martin aurait voulu vendre à Britney Spears. Heureusement, on évite le kitsch et le pastiche : l'aspect homemade de l'album administre une chaleur à la production immaculée, et témoigne d'une retenue digne de la maison 4AD.
Cette retenue est d'ailleurs ce qu'on pourrait reprocher à l'album : si aucun titre n'est mauvais, certains peinent à réellement attirer l'attention du fait de leur production un poil trop introspective, et très peu (à savoir "Busy", "Polite", et "Drama") arrivent à être aussi catchy que les meilleurs bangers du premier album. Il est vrai que Sensationals compense ce manque général d'explosivité par une meilleure expérience globale, mais il manque à Erika de Casier un hit, un vrai, du genre qui la téléporte dans la dimension des indie darlings révérées par Pitchfork et Anthony Fantano. Il n'empêche que peu d'albums accompagneront aussi bien les prochaines soirées d'été. Le baby boom post-covid va être sauvage.