Semi-Impressionism
Tetuzi Akiyama + Toshimaru Nakamura
Sur le temps qu’il vous faudra pour parvenir à prononcer correctement les patronymes de nos deux artistes du jour, je prendrai le temps de vous expliquer que ces deux Japonais sont les représentants les plus illustres de la scène impro tokyoïte, ayant prêché la bonne parole musicale aux quatre coins du monde et individuellement sur un nombre incalculable de labels. Réunis pour la première fois sur album, Tetuzi Akiyama et Toshimaru Nakamura nous présentent là trois pièces provenant directement de prestations live (le tout hébergé par l’excellent label japonais Spekk, qui abrite pour exemple Dirac ou Level). Une belle occasion donc d’appréhender les talents de ces deux musiciens improvisateurs dans les meilleures conditions, celles du partage au public.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les spectateurs respectifs de ces trois prestations n’ont pas fait le détour inutilement. Car la collaboration envisagée ici a quelque chose de pur, une symbiose des genres qui a fait école puisque nombreux sont les artistes se présentant sur un créneau « toi aux instruments acoustiques, moi au travail sur laptop ». On pensera bien sûr à Fennesz ou Giuseppe Ielasi pour l’emploi exclusif de la guitare, mais aussi et surtout aux grandes collaborations de modern classical menées par Ryuichi Sakamoto (en compagnie d’Alva Noto sur Vrioon ou Insen ; de Fennesz sur Cendre) ou encore le magnifique dyptique mené par Nicolas Bernier et Simon Trottier (Objet Abandonné En Mer.../…Et Retrouvé En Forêt). Semi-Impressionism naît donc de l’association entre les arpèges presque aléatoires de guitare et le travail abrupt sur la matière électronique. Un programme connu mais qui fait toujours son petit effet grâce au contraste qui oppose chaleur acoustique et froideur technologique, une sorte de retrouvailles ambigües qui prend tout son temps afin d’étendre le propos, inciter à une divagation toujours sous tutelle chirurgicale. Côté acoustique, ça évolue avec lenteur et claquement, tout en douleur et insistance tandis que l’électronique évolue sous l’œil averti du microscope auditif, alternant micro-textures, chuintements noisy et grésillements de bruits blancs (on pense donc à toutes les maîtres de chez Raster Noton, d’Alva Noto à Ryoji Ikeda).
Et ce paradoxe offre à l’auditeur deux faces d’une même combinaison de moyens : l’électronique jouerait au trouble-fête au cœur de l’amour acoustique, à moins que ce ne soit la guitare qui paraisse comme un élément d’histoire au beau milieu de l’obsession technologique. Quoiqu’il en soit, une fois combinés, ces deux mondes offrent un nouveau genre performant, une nouvelle manière d’envisager la réunion de deux textures qu’a priori tout sépare. Ces trois pièces en sont à nouveau les témoins. Tetuzi Akiyama et Toshimaru Nakamura confirme donc leurs statuts d’intouchables, nous gratifiant d’un très bon disque aux contours paradoxaux mais vivifiants. Conseillé.