Seen Enough
SPY

Si vous lisez cette chronique en prenant le temps – pas que le papier soit plus exceptionnel qu’un autre, mais seulement à titre d’exercice – il est probable que Seen Enough soit terminé avant que vous n’en arriviez à la fin. Neuf minutes, vous n’aurez rien de plus. Ça parait peu à première vue mais, à vrai dire, venant de SPY, on est tout à fait dans une norme acceptable. Satisfaction, leur premier album en 2023 ne dépassait pas les quatorze minutes donc, comparativement, on serait même sur quelque chose d’assez long. De toute manière, SPY n’a jamais eu besoin de plus d’une minute trente par titre pour condenser toutes ses idées. Aujourd’hui titan de la nouvelle scène hardcore américaine, le groupe emmené par Peter Pawlak s’est rapidement taillé une réputation taille patron grâce à une poignée de EP’s courts mais impossible à esquiver, bien aidé par des lives tout aussi succincts mais absolument monstrueux. Bref, en 2025, le hardcore de la Bay Area, c’est eux.
L’énergie de SPY on la connaît par cœur. Elle est pachydermique (tout comme le langage corporel de leur chanteur), impossible à contenir et véritablement cataclysmique. L’histoire était faite pour durer cent ans : le groupe sort sa violence démesurée, parfaite à sa manière, et nous on bouffe la (délicieuse) soupe sans se poser d’autres questions sur la capacité de SPY à faire du SPY. Sauf que Seen Enough redistribue pas mal de cartes, tant sur le fond que sur la forme. Premièrement, on redescend ici clairement d’un cran en termes de violence du propos. Sans pour autant en perdre ses vertus moshisantes, les six titres de cet EP font l’éloge d’un punk surburné plutôt que de jouer sur le tout hardcore métallique. Une sorte de retour aux origines, terriblement hardcore dans le cœur, mais qui joue tout sur le groove rock’n’roll, sur les accélérations complètement folles et la lourdeur caverneuse de la production. Deuxièmement, constatant le décalage entre les sorties précédentes et l’énergie de celles-ci en live, le groupe décide aujourd’hui de s’enregistrer en quelques prises seulement, tous entassés dans le même studio. Capté sur une demi-journée (les vocaux seulement enregistrés à part) dans un espace étriqué, Seen Enough sent la sueur et l’énergie du moment, loin de toute perfection.
Pourtant, SPY n’a jamais paru aussi maître de son sujet que dans cette nouvelle configuration. La violence étant une intention plutôt qu’une simple attitude ici, Seen Enough se pose comme l’une des meilleures choses sorties par les Américains à ce jour, assez loin de tout ce qu’on a pu entendre par le passé. Avec un potentiel de rejouabilité qui semble infini, ces neufs minutes tournent en boucle sans jamais lasser. Les gimmicks passent et on se découvre à headbanger seul devant son ordinateur sans jamais s’être rendu compte que les neuf minutes de cet EP tournaient depuis une heure déjà. Une manière magnifique de prouver que SPY possède non seulement plus d’un tour de con dans son sac, mais également que le groupe est en train de passer un cap définitif dans son écriture. Impossible de parler d’un disque de la maturité vu le contexte du groupe et son énergie surhumaine, on se contentera juste de vous rencarder sur cette énorme bombe sale de rock’n’roll. Si vous avez pris le temps comme convenu, vous devriez déjà en être à votre deuxième écoute. On se retrouve donc dans une heure.