Screen Memories
John Maus
Plus qu'un constat, c'est une évidence: la société moderne fonctionne en circuit fermé. Le bouton repeat enfoncé trop loin, on fait du nouveau avec de l'ancien et on nous vend le bousin comme le futur. Mais dans tout ce foutoir, il y en a qui maîtrisent mieux l'espace-temps que d'autres, et John Maus fait partie de ceux-là. Passé maître dans l'art du grand écart temporel, le BFF d'Ariel Pink revient avec Screen Memories, 6 ans après We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves. Six ans d'absence, c'est une période qui peut paraître longue au vu du flux incessant d'actualités qui rythme nos timelines, mais c'est surtout le temps qu'il aura fallu à John Maus pour passer son doctorat en science politique à l'Université d'Hawaii et pour construire son propre synthé modulaire (aucun lien entre les deux, on vous rassure).
Si l'on se fie à la plus grande encyclopédie en ligne, "un souvenir écran (screen memory) est, en psychanalyse, un souvenir, auquel le patient ne prête pas attention mais qui, au sein de l'économie psychique, cache et masque un souvenir refoulé." Utilisée par Freud pour la première fois lors de son auto-analyse suite à la mort de son père, le titre de l'album de l'Américain révèle surtout son amour sans borne pour l'"hypnagogic pop". Parfaitement. Un mot bien casse-couilles pour définir la pop qui emprunte la majorité de ses éléments à la nostalgie culturelle, et principalement à la culture populaire des 80's. On n'est pas bien là à enculer les mouches ? Parce que tout ça en pratique, ça donne quoi ? Sans grosse surprise, Screen Memories exploite un univers filmique rétro-futuriste, quelque chose influencé par le maître en la matière John Carpenter. En plus pop et en mieux fagoté quand même. Tout droit sorti d'une série B, l'album regorge de titres qui auraient pu (dû?) être utilisés pour un mauvais film d'horreur.
Plus globalement, il plane sur Screen Memories une odeur de pessimisme, quelque chose qui nous ferait penser que la fin est proche. Un ressenti renforcé par la déception de l'artiste malgré tous les efforts qu'il avait placé dans la construction de son synthé modulaire et la volonté de renouveler sa musique - "ça n'a pas vraiment fait de différence", explique-t-il. Un verre à moitié vide qui n'empêche pas la création de mélodies percutantes, voire carrément entêtantes pour certaines ("The People Are Missing" en tête de liste). Pas de longues lignes de chant sur les titres, Maus leur préfère des paroles clairsemées, souvent répétées façon mantra ("Pets"). Après plusieurs écoutes, on se perd dans les 40 minutes de l'album, sans jamais savoir si on est au début ou à la fin du disque. Jusqu'à tomber sur "Bombs Away" (composée en compagnie des vieux potes, Ariel Pink et Matt Fisbeck) qui marque en douceur la fin de la balade.
John Maus aura pris 6 ans pour composer un album qui ne rencontre finalement pas ses attentes. 6 ans d'investissement pour changer ce qu'il est et se rendre compte en fin de parcours qu'il n'a pas bougé d'un millimètre. En toute objectivité, si ce qu'il espérait était un virage conséquent, Maus a toutes les raisons d'être déçu par Screen Memories, mais pas nous. Par les temps qui courent et vu la tournure que prennent les choses, on n'aurait pas pu rêver meilleure bande-son d'un monde qui s'écroule.