Schlagenheim
black midi
On apprend à se méfier des groupes qui surgissent du néant uniquement par leur habileté à communiquer - ou à non-communiquer en ce qui concerne les gars du jour. Un clip de près de 20 minutes en début d’année ("speedway" et sa vidéo en mode zapping d’insomniaque), une poignée de visuels obscurs, une performance tendue filmée pour KEXP et un mélange un peu improbable de genres (math rock + post-punk + indie rock). Quelques mois à peine auront suffi aux quatre minots de black midi pour faire grimper les enchères dans une agitation des plus suspectes. On pouvait également se fier aux témoignages élogieux des privilégiés ayant assisté à leurs concerts mais fallait-il encore différencier la mousse de la bière.
On sait également que Cameron, Matt, Morgan et Geordie se sont rencontrés à la Brit School of Performing Arts de Croydon, un collège réputé pour flairer ses talents dès le berceau tels que ce fut le cas pour Amy Winehouse, Adele ou King Krule. Le genre de formation qui leur donne une petite longueur d’avance sur la maîtrise de leurs instruments - en particulier Morgan Simpson, leur batteur aux mille bras qui s’annonce d’ores et déjà comme le meilleur espoir masculin dans sa catégorie.
Mais après s’être amusée quelques temps dans les meilleures conditions, que pouvait-on attendre de la bande enfermée pour la première fois dans un studio pour adultes ? Certainement pas le traditionnel couplet-refrain-pont-applaudissements. Ne comptez pas sur eux pour vous prendre par la main et faire sagement le tour du propriétaire avec des cookies et un verre de lait. Ayant pris l’habitude de fonctionner à l’instinct et de poser ses briques sur un fond d’improvisation, black midi ne cherche pas à rendre l’écoute confortable. Au moment où vous pensez être tranquillement installé sur un riff, la centrifugeuse vous projette dans un trou de ver et un autre décor s’impose. L’option la plus prudente reste encore de baisser la garde et de se soumettre à cette longue crise d’épilepsie créative. Subsiste "bmbmbm", le morceau le plus linéaire du paquet, qui vous rentre directement dans l’os et vous laisse cloué au carrelage.
Aussi fascinant qu’irritant, ambitieux parfois à la limite de la prétention, l’objet Schlagenheim vaut largement la cinquantaine écoutes qu’il exige. On en sort essoré mais avec un étrange sentiment de satisfaction, celui-là même qui nous fait croire qu'on a tout compris au dénouement du dernier David Lynch. En coulisses, il nous faut une nouvelle fois saluer le boulot du producteur Dan Carey (dont on vous parlait il y a peu à l’occasion de sa collaboration avec Kate Tempest) qui prouve qu’il est tout aussi à l’aise pour mettre en forme le minimalisme le plus limpide que le déchaînement le plus déroutant.