Sauvé
IT IT ANITA
On sait tous qu’à ce niveau de privation, on ne va pas faire les fines bouches au moment de choisir qui aller voir en concert quand les powers that be nous le permettront. Il y a même fort à parier qu’on prendra un réel plaisir à se déplacer pour des groupes et artistes pour qui on faisait preuve d’une indifférence polie avant le début de la pandémie. Néanmoins, il y a certaines formations qu’il nous tarde davantage de retrouver que d’autres. Et bien haut dans cette liste, il y a IT IT ANITA.
Si c’est en usant les gommes de son van que le groupe belge a gagné ses galons sur la scène grunge noise, on n’a pas peur de le dire ici : aussi chouettes fussent-ils, ses albums semblaient surtout servir le live, ou en tout cas être pensés pour donner leur pleine mesure dans cet exercice où le groupe n’a franchement de leçons à recevoir de personne. Mais avec Sauvé, pour la première fois, cette dynamique semble s’inverser, avec un album qui vaut moins pour le chaos qu’il annonce sur scène que pour les qualités qu’il déploie en studio. Autrement dit, on tient là le premier album de IIAA vraiment taillé pour une écoute domestique – et accessoirement le meilleur et le plus abouti de sa carrière. Et les raisons de cette réussite, c’est en grande partie dans le titre de l’album qu’il faut les trouver.
Car ceux qui suivent le groupe ne le savent que trop bien : il attache une importance capitale à la figure du producteur, dont le rôle aura souvent été présenté comme capital par les quatre Liégeois. On sait IIAA grand amateur des discographies de Sonic Youth ou Dinosaur Jr., mais pour aller au bout de cette logique, IIAA s’est adjoint les services de John Agnello, qui a collaboré avec les deux groupes précités au faîte de leur gloire, pour mettre en boîte un album et un EP – ce dernier était d’ailleurs intitulé Recorded By John Agnello. Quant à l’album suivant, il était intitulé Laurent, comme le producteur Laurent Eyen, qui se faisait d’ailleurs tirer le portrait sur la pochette. Cette fois, ce sera Sauvé, comme Amaury Sauvé, dont les studios de Laval sont un repaire de choix pour toutes ces formations qui veulent mettre de l’ordre dans leur boucan – la plus célèbre d’entre toutes étant certainement Birds in Row, dont le bassiste/chanteur Quentin Sauvé n’est autre que le frère du propriétaire des lieux.
Et si on a peu croisé IIAA sur un circuit où des groupes d’obédience punk hardcore comme BiR sont des valeurs sûres, cela pourrait changer avec Sauvé. Car conjuguée au travail d’Amaury Sauvé, la volonté du groupe d’aller vers quelque chose d’encore plus brut, énervé et corrosif donne un disque qui ouvre de nouvelles perspectives, et le voit même trouver rapidement ses marques alors qu’on aurait pu penser qu’aller chercher des idées du côté de chez Converge ou Loma Prieta n’allait pas forcément se passer sans accroc. Mais voilà, il suffit d’écouter des morceaux comme « Ghost », « More » ou le cataclysmique « 53 » pour prendre conscience de la capacité d’adaptation dont aura toujours su faire preuve IIAA au contact de producteurs à qui il choisit de faire une confiance aveugle. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : ce qui pourrait passer pour de l’opportunisme n’est rien d’autre qu’une curiosité judicieusement utilisée par un groupe dont l’expérience conjuguée à l’intelligence des choix en fait l’une des plus impitoyables machines de guerre dont dispose actuellement le Royaume.