Sarah
Hyacinthe
Il y a certains rappeurs pour qui Paris est une vraie muse. Le trop rare Jeune LC par exemple, connait la capitale comme sa poche, et s'en sert pour imprégner ses histoires de deal d'une prose qui sent bon le brouhaha des bars de Ménilmontant. C'est aussi le cas de Hyacinthe, qui a toujours vu la capitale sous des angles peu glamour: ceux des déceptions amoureuses, des longues soirées d'ennui conjurées par la prise de drogues. A la lumière de ce filtre peu engageant, pas surprenant que le Parisien veuille à l'aube de son quart de siècle prendre ses distances avec Paris. En fait, avec ce premier "vrai" album, il exhibe une telle amertume vis-à-vis de la ville qu'on le sent très loin des immeubles haussmaniens et très près des gratte-ciels de Shibuya.
Il aura fallu deux longues années pour que Hyacinthe parvienne à traduire ce besoin de changement dans sa musique. Une éternité à l'échelle du rap. D'autant que le terrain de jeu a considérablement changé depuis SLRA2 : Mémoire de mes putains tristes: la jurisprudence PNL est passée par là, et le rappeur français lambda a aujourd'hui moins d'appréhension à l'idée d'offrir un album essentiellement chanté. Si entendre chanter Hyacinthe n'est pourtant pas une première, notamment au format mixtape, on l'a rarement senti aussi désireux de laisser son flow au placard pour privilégier l'écriture de belles chansons.
S'il affirme n'avoir toujours pas trouvé de "refrain à sa haine", le post-ado énervé de Sur la route de l'Ammour 2 a laissé place sur Sarah à un splendide adulte qui assume avec davantage de force ses orientations artistiques. Si la mélancolie ne quitte pas ses rimes, il s'exprime de manière plus apaisée, voire franchement romantique sur certains morceaux ("Le regard qui brille", "Seul en toi"). Et quand il fait le choix de renouer avec quelques uns de ses thèmes de prédilection, comme l'absence de figure paternelle, ceux-ci se retrouvent évoqués de manière plus juste et moins brouillonne que par le passé. Ces quelques morceaux sont d'ailleurs d'autant plus touchants qu'ils sont exprimés avec des codes et des références qui sont les siennes, et sur lesquels il exerce une maîtrise totale.
Cette main-mise sur le produit, elle s'exprime aussi au travers d'une esthétique qui prend plaisir à conjuguer pas mal d'extrêmes. Si l'on devait résumer grossièrement ce premier disque, on dirait que Sarah c'est un peu comme si Michel Berger jouait à une soirée Thunderdome: c'est un laboratoire où d'audacieux alchimistes s'amusent avec la violence et la niaiserie. Un champ d'expérimentation total dans lequel Hyacinthe s'acharne à juxtaposer chanson française et gabber, pour faire "des trucs beaux avec des trucs moches". Et ce qui pourrait être franchement flippant sur papier réussit, par la grâce d'un sixième sens qui échappe encore à notre logique, à tenir debout.
Sarah est l'effort le plus abouti de Hyacinthe à ce jour. Peut-être parce qu'il porte en lui un patrimoine métissé qui s'exprime au travers de la vie nocturne parisienne, du revival gabber néerlandais porté par Casual Gabberz jusqu'aux innovations du dernier Christophe, l'immense Les vestiges du chaos. C'est fort de ces splendides contradictions que Hyacinthe continue de s'épanouir artistiquement, toujours plus insaisissable à chaque sortie. Et quelque part, c'est tant mieux: on s'en voudrait qu'un tel électron libre fasse l'erreur de s'enterrer dans une recette trop convenue.