Sans titre #7
Grems
Bonne nouvelle: comme 99% des musiciens qui annoncent leur départ, Grems n'a pas réussi à quitter totalement le circuit. Bien sûr, il s'est délesté de beaucoup d'intermédiaires, et a cessé de jouer le jeu d'une industrie qui l'a beaucoup abimé. Mais ce n'était que pour mieux s'affranchir des logiques de planning, et revenir à ce qui lui plait vraiment dans la musique: le plaisir de se faire plaisir.
Ainsi, de la résurrection d'Hustla jusqu'à la sortie de Sans titre #7, Grems a multiplié les formats courts, sans jamais qu'on ne doute trop d'un passage par la case album. Et finalement, c'est peut-être sa surprenante apparition chez Roméo Elvis qui a achevé de nous rappeler qu'à bientôt 40 ans, il était temps d'offrir à la plus belle barbe du rap français la reconnaissance qu'elle méritait. Qu'on se rassure: le regain de popularité dont profite Michael Eveno en 2018 ne lui a pas donné envie de renouer avec les concessions. La preuve, c'est que Sans Titre #7 est un nouvel objet non identifié à verser au dossier d'un MC qui continue de dessiner l'une des trajectoires les plus passionnantes du rap français.
Car la motivation, comme toujours, c'est l'art et le plaisir d'offrir au monde un projet éloigné des logiques mercantiles. A beaucoup d'égards pourtant, on n'arrive pas en terre inconnue: Sans Titre #7 est bien le pendant lumineux et décomplexé d'un Vampire souvent trop rêche et personnel, point d'orgue d'une époque où le rappeur élevait son art au rang de thérapie. Aux multiples mentions à sa vie personnelle, et notamment la perte de la garde de sa fille, Grems choisit d'offrir une réponse féline, libre et profondément insaisissable. La clé de compréhension, c'est dans dans la répétition qu'on finira par la trouver ("tu comprends le truc après deux ou trois écoutes"): plus arty et contemporain que jamais, Sans Titre #7 se savoure comme la cuisine déconstruite de Massimo Bottura ou le dripping de Jackson Pollock. C'est une oeuvre qui se réclame plus d'un feeling que d'une technique, même de la part d'un des rappeurs les plus complets en la matière, et qui vient s'exprimer au moyen de vignettes bruyantes, énervées voire franchement tubesques. D'ailleurs, Sans Titre #7 ressemble moins à un disque de rap qu'à un album de punk façon Minor Threat: aucun fil rouge ne vient entacher la spontanéité insolente d'un album qui met un point d'honneur à ce qu'aucun de ses titres n'excède les trois minutes. A quoi bon de toute façon ? Cette collection se suffit à elle-même dans sa volonté de ne jamais se restreindre, de toujours garder ce que sa matière première a de plus immédiat et sauvage. Et malgré les présences furtives de C-Sen, Hedi Yusef ou encore Le Jouage, cette aire de jeu reste le terrain de chasse exclusif du rappeur qui, en bon parrain du deepkho (ce fameux mélange de rap et de deep house), se passe de faire-valoir.
Dans de multiples interviews, Grems considérait que Sans titre #7 pourrait bien être son véritable premier album depuis Air Max. Face à cette idée qui se discute volontiers, on se dit surtout que ce septième effort à valeur de synthèse, sans jamais sombrer dans la rediffusion - et cela ressemble a un petit exploit après vingt ans de carrière. Grems n'a probablement jamais paru aussi apaisé que sur cette esquisse de disque à son image, fascinante dans ce qu'elle exprime de plus libre et décomplexé. Et à qui voudrait le prendre pour un perdant magnifique, Sans Titre #7 est là pour rappeler que Grems est définitivement un gagnant, un superhéros du gouffre qui persiste à rester "underground comme Joe Lucazz ou Rat Luci". Et c'est pas pour dire, mais on connait pas mal de vieilles gloires qui feraient mieux d'en prendre de la graine.