Saison 5
IAM
Pour leur sixième album, on peut dire qu’on attendait les six Marseillais avec une impatience non dissimulable, leur précédente sortie faisant office pour beaucoup d’album de transition après le surplébiscité (à juste titre !) L’Ecole Du Micro d’Argent qui avait vrillé le paysage rap français de l’époque, plaçant le groupe par la même occasion au sommet de la pyramide, intouchable. On attendait d’autant plus de cet album que le précédent opus avait laissé un goût de légère déception tant la démarche avait changé : maintenant plus matures, les six membres d’IAM abandonnaient les ambiances typées Chine antique pour un retour à la réalité difficile à avaler pour beaucoup. Pour Revoir Un Printemps, ils avaient misé sur une longue maturation afin de développer un disque aux lyrics profonds, délaissant ainsi une production qui se voulait pourtant essentielle. Ici, plus question de reproduire les mêmes erreurs commises par le passé, seulement un an après Revoir Un Printemps, le groupe revient en force avec un album viscéral, enregistré rapidement entre début septembre et fin novembre 2006, conscients que leur talent se décuple dans l’urgence.
De Planète De Mars à Saison 5, il n’y a qu’un pas : militant corps et âme contre un immobilisme intellectuel aussi tenace qu’irrémédiable dans une France empreinte à une crise sociale de grande envergure, le groupe se veut comme un ambassadeur de la « nation d’en bas », refusant les raccourcis démagogiques, préférant toujours le recours aux bombes vocales ciblées et plus que jamais consciente du monde qui les entoure. Mais IAM c’est aussi la tradition d’un rap conscient maintenant incontournable, une science de la rime poussée à l’extrême comme ils se plaisent à nous le rappeler.
Dès les premières mesures de « WW », on comprend que les grands sont de retour : moins une introduction qu’un nouveau pavé dans la mare, IAM rappelle à tout qui l’ignore encore qu’ils gardent une longueur d’avance en matière de tueries vocales, soutenues par des flows frôlant la perfection et une prod de qualité irréprochable (On l’dit en visage, pas d’arrangement, pas d’miel, pas de changement, pas d’sucre, excuse pour le dérangement / Si t’es allé a la FNAC pour un titre en gélatine, t’es tombé sur le squeud en adamantium.) A partir de là, la machine, maintenant bien huilée, va tourner à plein régime pour délivrer 17 titres qui résonnent comme autant de manifestes au nom de la citoyenneté et du bon sens. Leur liberté d’action, comme toujours, leur permet de visiter avec une lucidité unique des thèmes souvent esquivés, toujours au centre des préoccupations : la tournure du rap français gangrené par les travers du bling-bling pour un bon « rap de droite » (Avant c’était le goudron mais c’est le passé et à présent, on veut du caviar bien gras, pas du zéro % / Gros cigares et vodka, loin des merguez d’antan / VIP et Cristal, diamant dans les dents, tout dans la tendance / On parle plus de fesses que de fond, que de fric ou de flow / De toute façon, ça sert à rien ça rapporte moins que les strings en vidéos.), les apports de la culture urbaine au travers d’un single tranchant (« Ca vient de la rue »), l’auto-enfermement (« Une Autre Brique »), le fossé grandissant entre les délaissés et les institutions (Ils parlent de cités à risques, nous on parle de racines / Souvent ils nous pointent du doigt et nous on pointe au chômage / On parle de réussite mais eux nous parlent intérim et stages [...] Les frères parlent de clans, la presse parle de gangs / On se sent tous pareils, la pub parle de cibles.), ou encore la liberté ; le tout desservi par des lyrics qui font mouche et des productions en acier trempé. La production, justement, fait l’objet de tout le soin d’un Imhotep dont la compétence semble atteindre des sommets : plus street que l’Ecole Du Micro d’Argent, les arrangements mettent la modernité au service d’une vérité qui se veut urgente et dérangeante car profondément humaine.
Chaque écoute fournit une nouvelle raison d’aimer cet album tant les pépites vocales se délivrent au compte-goutte : chaque rime en cachant une autre plus acerbe, IAM distribue les claques avec cette classe toute caractéristique d’un groupe en pleine confiance qui manie l’art du phrasé comme personne. A l’écoute de la performance, on comprend enfin l’idée que le groupe pouvait se faire du style de la mouette (cf. L’Ecole Du Micro d’Argent) : n’ayant comme limite que sa propre tendance à exister et à dénoncer des faits inadmissibles et cautionnés à grand coups de débats pro-sécuritaires, pouvant voler jusqu’où il lui plaira d’aller ; ainsi la liberté n’a jamais semblé si proche qu’ici.
Et voilà, avec cette nouvelle sortie, la messe est dite et IAM confirme tout le bien qu’on pouvait penser d’eux : toujours plus matures, les cinq empereurs remettent à nouveau les pendules a l’heure en direct de leur constellation, reléguant le reste de cette scène à l’état de simples anecdotes. Merci pour ces 20 ans d’une musique toujours plus encline à rassembler les individus, 20 ans de passion au service d’un étendard brandi toujours plus haut que les discours populistes auxquels on essaye de nous faire croire au quotidien. IAM passe et restent les soupirs.