Safe And Sound
Justus Köhncke
Quoiqu’on puisse en dire, l’Allemagne électronique nous réserve encore de bien belles surprises. Car si le minimalisme parfois austère occupe toujours une place prépondérante au sein de la production teutonne, il n’est pas rare de se voir confronté à quelques îlots de résistance farouches. Dernière référence en date, le retour plus qu’attendu du producteur génie du très influent label Kompakt, Justus Köhncke. Une personnalité qui se démarque plus par son activisme foisonnant (Coauteur du tube immortel « From Disco To Disco », auteur à part entière de deux albums pop sur Kompakt et crooner déviant sur son projet Kinky Justice) que par ses coups médiatiques, toujours est-il que ce Safe And Sound tombe à point nommé pour se reprendre une bonne louche de nu-disco dans les oreilles.
En bon élève qu’il est, Justus reprend les choses à leurs bases et se met en quête du Saint Graal, envisageant aux cours de ces dix titres de rencontrer le groove ultime, parachèvement idéal de cette œuvre discoïde. Armé de ses claviers expansifs et de son imagination lubrique, l’Allemand tire le meilleur d’une house minimale chaleureuse et rondelette pour le coupler à une palette d’attitudes disco, de la basse solide comme le roc aux claviers cheesy, en passant par les grattes les plus insidieuses, délivrant ainsi par-là même le nu-disco de l’image d’Epinal dans laquelle elle se voit coincée, souvent à juste titre faut-il dire. Partir à la recherche de cette perfection passe inévitablement par les clubs les plus animés comme en témoigne le groove décalé de « Molybdän » ou la fraîcheur de « Love And Dancing », s’imposant comme hymne à l’incongruité des pas de danses improvisés, où le sérieux de l’affaire n’empêche pas les Travolta les plus imbibés de donner libre cours à des danses déviantes et souvent approximatives.
C’est cette diversité-là que fait renaître l’Allemand grâce à un usage millimétré de ses claviers transpirants, ces moments de liesse souvent cloisonnés dans des ambiances divergentes mais réunis sous la coupe du savoir-faire disco, de l’arrivée en club (le perfectionnisme de « Parage ») jusqu’au départ matinal (la troublante reprise de « Feuerland », mélopée enlevée écrite par Michael Rother lui-même) : brumeux, tapissé d’un début de bruit blanc et inconsciemment dirigé par cette guitare hawaï style. On pense évidemment à des animateurs aussi talentueux que Prins Thomas ou encore Lindström, producteurs ayant prouvé qu’il n’y avait justement plus rien à prouver après avoir ramené le nu-disco au statut de genre enviable.
Dix pièces donc, dans lesquelles Justus Köhncke se révèle pleinement au contact des boules à facettes et des atmosphères hachées par les lasers. Un nerd qui voit en cette fête des sens l’occasion d’exploser définitivement, conscient qu’une fois à l’intérieur de ce disque, les cartes sont redistribuées et il appartient à chacun de nous d’y prouver sa valeur. On se dit que c’est dans ces endroits échauffés qu’on aimerait passer plus de temps, parcourant la salle comme on appréhende la moiteur du sol, pour être sûrs de ne pas rater une entrée qui s’avère dans bien des cas déterminante. Maintenant que vous y êtes, il faudra assumer ce statut de super star d’un soir, rassurez-vous, vous trouverez dans cette poignée de titres un allié de taille, dont la force post-moderne suffira à guider vos pas sur ce dancefloor bordélique. L’expression du corps, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.