Safe
Visionist
S’il devait y avoir des sondages de la hype, le grime serait quasiment aussi haut que les intentions de vote pour Marine Le Pen en région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Une lente montée en puissance qui ne doit rien au hasard. Le moment fondateur de ce revival pourrait se situer en 2013, au cours de la « dub war » qui a permis à des dizaines de producteurs anglais de s’écharper à coups de beats bien grassouillets comme le public en raffole. Un coup de projecteur inespéré qui a notamment fait sortir du bois deux futures étoiles du genre : Visionist et Kahn, sans oublier toute une palanquée de gusses comme Neana, Wen ou Saga.
Depuis quasiment deux ans, les « grimeux » enchaînent les sorties, les compilations et les coups d’éclat. Rien à dire, le mouvement est bien vivant. Pourtant, il semble manquer de quoi entr’apercevoir le « Grand Soir ». Pas besoin de chercher très loin, le constat est simple et sans appel : le grime 2.0 manque cruellement de disques fondateurs, de véritables balises. On pourra nous rétorquer que le Parallel Memories de Mr Mitch ou le récent Fabriclive de Logan Sama ont élevé le niveau de jeu, mais ça s’arrête malheureusement là. Les b-boys de Bristol et Londres ne semblent pas avoir les épaules assez larges pour mener cette offensive en bonne et due forme et poser leurs grosses couilles sur la table des musiques électroniques qui comptent en 2015. C’est bien gentil de claquer des titres d’enfoirés à intervalles réguliers sur Soundcloud, il serait grand temps de plier le game.
Alors naïvement, on avait placé quelques kopecks sur Visionist depuis l’annonce de son album. Acteur historique du renouveau et producteur hors-pair (la preuve avec ses EP M/Secrets et I’m Fine), son récent transfert sur le très en vue label PAN (Lee Gamble, Objekt, Helm) avait de quoi nourrir nos espoirs les plus fous. On le voyait déjà en haut de l’affiche, en dix fois plus gros que n’importe qui son nom s’étalait : « Louis Carnell, boss du grime game ».
Pourtant, une fois le disque sur la platine, c'est une autre affaire. Pour les habitués du grime de Visionist, rien de neuf sous le soleil : des beats stellaires, des voix r'n'b vaporeuses, de longs breaks et une production léchée avec une patte reconnaissable entre mille. Un grime liquide, plein de sentimentalisme et empli d’une douceur qui tranche avec la violence aveugle de ses compères Neana ou Kahn. Une galette qui s’écoute incroyablement facilement. On pense aux titres « Tired Tears, Awake Fears », « Safe » ou « Vffected ».
Sauf que le Londonien n’arrive jamais véritablement à nous faire vibrer pleinement, la faute à des productions trop synthétiques, policées et à un sentiment de déjà-entendu. D’autant plus que Louis Carnell a laissé s'exprimer des penchants plus expérimentaux, surement grisé par sa signature sur PAN. Pas de bol pour nos oreilles : ces vélléités expés sapent la qualité globale de l'album, quand elles ne tombent pas comme un poil de pubis dans la soupe. Un foutu gâchis, nullement représentatif des talents du bonhomme et du potentiel incroyable que recèle cette scène.