Sable (OST)
Japanese Breakfast
Première précision qui a toute son importance: cette chronique est la suite de celle sur la bande originale de Dune par Hans Zimmer. Du coup – et vous l’aurez compris, ce n’est pas à l’avantage de Hans Zimmer – c’est un sacré coup de bol pour nous d’avoir deux bandes originales sorties la même semaine et essayant toutes deux d’être de parfaits accompagnements pour un monde dans lequel le sable est roi. D’un côté, la dune épique et légendaire de Frank Herbert, avec une Arrakis mise en image encore plus épiquement par Denis Villeneuve ; de l’autre, l’intimiste glissade par-delà les dunes proposée par le studio Shedworks dans Sable.
Et si vous suivez bien le site, ou si tout simplement vous êtes amateur·rices de jeux vidéo, ce nom devrait vous être familier, puisque Raw Fury, qui distribue le jeu, a tout mis en œuvre pour en faire un aimant à regards et à wishlists. Difficile d’oublier le visuel une fois qu’on l’a vu passer dans une quelconque vidéo, puisqu’il reprend trait pour trait l’imaginaire de Moebius. Les aplats de couleurs, la finesse du dessin et l’originalité de la fiction, tout est fidèlement retranscrit dans le jeu. Et puis, il y a eu l’annonce assez inattendue de la présence de la musicienne américano-coréenne Michelle Zauner et son projet bien connu Japanese Breakfast.
Ce sera donc le deuxième album du groupe cette année après un Jubilee ayant particulièrement bien fonctionné, sur le plan critique, mais aussi sur le plan commercial. Ne vous attendez pas à une pop-rockisation de la musique de Sable néanmoins, puisque Michelle Zauner s’est glissé dans l’univers du jeu vidéo plus qu’elle n’a traîné le sien dans le code de Shedworks. Mais avec quelle habileté ! Alors ok, les bandes originales vidéoludiques sont souvent beaucoup plus longues que celles du cinéma, parce que le temps de l’expérience y est proportionnellement plus important. Pour Sable par exemple, il faut compter une dizaine d’heures contre les 2h45 de Dune. Mais c’est surtout que le jeu vidéo implique une mise en musique très particulière, puisque le média permet de stationner et de s’imprégner d’un lieu aussi longtemps qu’on le souhaite. Ce qui implique d'à la fois donner une atmosphère sonore très distinctive à chaque lieu, et de construire une bande originale capable de boucler et de réagir aux déplacements.
Dans le travail de Japanese Breakfast, non seulement toutes ces qualités ont été de toute évidence bien prises en compte, mais c’est surtout la retranscription musicale d’un monde fait de sable qui impressionne. Les voyages à « moto » sur le dos des dunes s’organisent à l’écoute des micro-changements par roulements de grains successifs, la présence d’un léger vent permanent et la transformation silencieuse d’un paysage qui est à la fois toujours le même et jamais tout à fait identique. Les tracks d’explorations (notamment « Explorations (Nature) ») en sont une bonne illustration.
Le monde dans lequel voyage Sable est certes bien plus paisible et plus calme que celui filmé par Denis Villeneuve, mais il gagne surtout en autonomie esthétique. Jamais on n'est sorti du jeu par l’infiltration de clichés musicaux, culturels ou de simples redites mélodiques. La beauté de la région d’Hakoa n’a pas d’équivalent sur Terre, si bien que son thème ne tisse des liens qu’avec les autres thèmes de son univers, ou dans une forme d’intermusicalité liée à l’histoire des bandes-son vidéoludiques. Ce point est d’ailleurs la vraie limite de Sable (OST), en ce que cette bande originale utilise un petit peu trop des instruments et fonctionnements qu’on connaît dans le monde du JV, à commencer par la série des Zelda ou les jeux de Toby Fox, pour ne citer qu’eux.
Pour le reste, alors que la direction visuelle aurait pu phagocyter l’intégralité des décisions artistiques liées à Sable, Michelle Zeuner réalise une performance assez exceptionnelle, de création d’univers, de cohérence globale comme de distinctions dans les lieux et les différents moments du déroulement du jeu. Clairement une bande son à mettre entre les mains de celles et ceux qui ne jouent pas. Malheureusement, de la même manière que la bande originale décevante – de notre point de vue – de Hans Zimmer ne suffisait pas à faire de Dune un mauvais film, la grande qualité du travail de Japanese Breakfast ne suffit pas à faire de Sable un jeu intéressant. On n’est pas là pour faire de la critique vidéoludique, mais le projet se perd un peu entre contemplation totale et grosses ficelles de jeu d’aventure open-world un peu plat. En somme, si vous avez été comme nous fatigué·es par la bande originale de Hans Zimmer mais que vous voulez quand même entendre un monde dans lequel tout ressemble au sable qui glisse entre vos doigts l’été, vous pouvez foncer.