Rush to Relax
Eddy Current Suppression Ring
Drôle d'affaire que cet Eddy Current Suppression Ring. Le groupe se forme à Melbourne en 2003, on ne sait trop comment, ni pourquoi, la légende voulant que ce soit lors d'une fête à l'usine où travaillaient les mecs. En 2008, ils se mettent soudainement à littéralement cartonner et depuis, leur succès australien est, dit-on, comparable à celui de Justice en France ou de Ghinzu en Wallonie. C'est devenu quelque chose qui dépasse carrément la musique, une vague identitaire, sociale, une déraison totale.
C'est d'autant plus étrange que cette musique n'a rien de vraiment direct, jamais évidente, toujours mentale. Le groupe a beau prétendre s'inscrire dans la tradition du rock garage et principalement citer des influences plutôt fédératrices d'il y a 40 ans (Troggs, Standells, Iggy & The Stooges...), sa façon distanciée et tranchante d'aborder les choses fait en réalité beaucoup plus penser à The Fall ou Fugazi – des groupes cultes pour universitaires cultivés, donc – qu'à des messies populaires capables d'entraîner les grandes foules dans leurs bacchanales sonores.
La musique de l'Eddy Current Suppression Ring est abrasive, goguenarde, mais jamais torturée ou idéale aux idées noires. Ici, c'est l'Australie de 2010, le soleil, la déconne, les filles, la bière et le surf. Pas grand-chose à voir avec le ciel plombé des agglomérations urbaines de l'hémisphère nord, le chômage, la frustration, l'angoisse et le vide existentiel qui servaient de background sociétal et de fond de commerce artistique aux grands-oncles post-punk et post-hardcore. Sans jamais tomber dans la crétinerie, les codes jadis austères sont détournés vers la déconne ironique, l'arrogance joyeuse et c'est ce qui fait justement de Rush To Relax un grand disque, certes principalement destiné aux morveux et aux jeanfoutres mais aux morveux et aux jeanfoutres véritables, conscients de l'être et pas simplement irresponsables par facilité et par mode. Il s'agit ici de tradition et d'éthique, hédoniste et libertaire, rien qui ne s'arrête au premier CDI mais un mode de vie que si tu l'aimes, tu ne le quittes jamais. Johnny Hallyday, Eddy Current Suppression Ring, même combat : le rock and roll et ses plaisirs.
Plaisir d'offrir une musique libérée de ses codes jadis plutôt stricts, joie de recevoir en travers du ballon une tambouille à la fois classique et bizarre, fonçant comme il se doit dans le tas au premier degré mais s'ouvrant également sans rougir au beat krautrock ou à 18 minutes de sons enregistrés à la plage! Voilà le menu, donc : tête à l'envers, chansons rapides, envolées rêveuses et surtout un gros gros fuck off aux conventions et à toute forme d'autorité. Ces mecs-là n'ont certes pas inventé la poudre mais lui font parler un langage toujours plaisant, toujours prescripteur. Des prophètes.