Romance
Fontaines D.C.
Par la variété des affiches qu’ils proposent et la richesse de celles-ci, les plus grands festivals de la planète ont ceci de formidable qu’ils permettent, en un rapide coup d’œil, d’avoir une radiographie assez précise des jeux de pouvoir qui régissent toute une industrie. Et parmi les tendances fortes de ces dernières années, il y a l’incapacité du rock à propulser tout en haut de l’affiche des artistes encore dans la vingtaine ou la trentaine.
À dire vrai, hormis les Arctic Monkeys ou quelques formations spécialisées dans le recyclage opportuniste (les immondes Måneskin, qui réussissent l'exploit de nous rendre sympathique Greta Van Fleet), quel groupe « de jeunes » a les épaules assez larges pour tenir une Main Stage comme le ferait Billie Eilish, Fred again.. ou Travis Scott ? On a eu la réponse cet été quand les QOTSA et The Smile ont été contraints d’annuler leur tournée et que leur trouver un remplaçant s’est avéré plus pénible qu’une intégrale de Claudio Capéo. On pensait un temps qu’IDLES pourrait être le sauveur, mais il n’a pas encore mis assez d’eau dans son vin (et de véritables tubes dans sa discographie) pour franchir ce palier.
Et c’est là que Fontaines D.C. entre dans la danse. Selon l’expression consacrée, il faut être deux pour danser le tango, et parmi la nuée de prétendants, c’est Richard Russell qui aura su souffler les arguments les plus convaincants à l’oreille des Irlandais. Il faut dire qu’en matière de glow up, le bonhomme en connaît un rayon : son bébé XL Recordings est aujourd’hui l’un des labels indépendants les plus importants du globe, et les carrières de Tyler, The Creator, Vampire Weekend ou M.I.A. peuvent lui dire merci.
On n’est pas dans les petits papiers de Richard le Conquérant, mais on imagine que celui-ci avait un plan. Pour commencer, il fallait susciter le désir et l’impatience, deux émotions auxquelles n'étaient pas habitués les fans d’un groupe qui a sorti trois albums en trois ans. Ensuite, il fallait en finir avec le post-punk carburant à l’énergie du désespoir et montrer que Grian Chatten et les siens avaient un peu humé l’air du temps ces deux dernières années. Et enfin, pour que l’électrochoc produise ses effets sur les plateformes de streaming, il leur fallait un producteur blanchi au harnais. Adieu Dan Carey, homme de l’immédiat, et bonjour James Ford, spécialiste des albums léchés pour les grosses machines de l’indie cool – on lui doit tous les moins bons albums des Arctic Monkeys, voilà.
Et c’est cette mue, radicale, qui va rendre les premières écoutes de Romance si compliquées : les esthètes irlandais ont mis leurs gabardines en tweed sur Vinted, optant pour des choix vestimentaires plus douteux qu’un morceau de Tryo à une université d’été du MEDEF. Musicalement, le post-punk sec comme une trique cède régulièrement sa place à des sonorités plus moelleuses et convenues. À l’inverse, ce virage ne sera pas compliqué à appréhender pour les fans de Foals ou Kasabian, dont Fontaines D.C. piétine allègrement les plates-bandes sur ce quatrième album - c’est assez flagrant sur « Starbuster » et on ne s’étonne pas que ce titre ait servi de mise en bouche tant son potentiel à électriser les lads est total. Ainsi, pour se faire une idée précise de la qualité du disque, il faut oublier tout ce que l’on savait sur Fontaines D.C., et intégrer l’idée qu’un nouveau départ était inéluctable – on doit se l’avouer, on n’avait pas non plus envie que le groupe nous sorte la variation sur le même thème 20 années de plus.
Surtout que les reproches peuvent être atténués par deux facteurs : d’abord, Fontaines D.C. pense encore (un peu) à sa base fidèle avec des titres optant à plusieurs moments pour une épure bienvenue qui sert de respiration dans un disque aux airs de bulldozer tout à fait assumé – c’est le cas sur un morceau comme « Desire » ou « Horseness in the Whatness » où l’on retrouve le phrasé et l’accent si particuliers de Grian Chatten. L’autre élément important, c’est la qualité du songwriting, et une fois encore, difficile de prendre le groupe en défaut vu qu'on entend sur Romance certains de ses meilleurs titres : tous les singles choisis à ce jour pour commencer, mais aussi « Death Kink », brûlant de sensualité. Davantage un album de transition qu’un nouveau départ totalement assumé, Romance laisse encore traîner quelques éléments pour que les fans de la première heure puissent se préparer à des adieux en bonne et due forme dès le prochain album. Leur AM à eux ? Pas encore, mais on s’en rapproche.