Róisín Machine
Róisín Murphy
En 25 années d’une carrière particulièrement bien remplie, Róisín Murphy a accompli suffisamment de grandes et belles choses en solo comme avec Moloko pour qu’on puisse faire l’économie de son incroyable CV. Par contre, impossible de passer sous silence son grand retour, quatre ans après un Take Her Up To Monto qui n’avait pas fait grand bruit. Nous sommes en 2020, et cette fois, c’est accompagné de sérieuses attentes que déboule Róisín Machine.
Et c’est bien compréhensible : depuis son dernier album, à travers des collaborations avec le producteur house Maurice Fulton sur plusieurs maxis tous impeccables, l’Irlandaise a entamé sa lente mue en diva disco capable d'alterner entre vrai délire communicatif et poses plus arty. Une mue qui se réalise pleinement sur Róisín Machine, fruit d’un exceptionnel travail avec Richard Barratt, qui n’est pas vraiment ce que l’on pourrait appeler un lapin de neuf jours : pionnier de la house music dans le Sheffield des années 90, il a récemment continué à propager la bonne parole sur DFA Records avec deux album de house suave et minimale sous le nom de Crooked Man.
À l’image d’une collaboration entre les deux artistes qui a pris le temps de prendre forme, Róisín Machine est lui aussi un disque qui ne joue pas la carte de l’urgence, pose ses pions pour mieux les faire avancer quand cela est vraiment nécessaire. Cette envie de bien faire les choses, mais de les faire dans une forme de lenteur doublée de langueur, on l’avait déjà décelée dans les nombreux ‘extended mixes’ de Crooked Man pour tous les premiers extraits de l’album – déjà imparables dans leurs versions originales, il visaient aussi juste dans leurs réécritures, et permettaient de mieux cerner la mécanique du duo.
Comme pour bien nous faire comprendre que le passage au format album n’y changera rien, Róisín Machine s’ouvre sur un titre, « Simulation », qui résume à lui seul la philosophie d’un disque qui, malgré une retenue de tous les instants, parvient à transmettre une vibe hédoniste capable de redonner le sourire au plus chagrin des esprits. Cet art de la retenue, il atteint des sommets juste après, sur un « Kingdom of Ends » qui évite les effets de manche et opte pour une interminable montée en puissance qui n'atteindra jamais son climax pourtant tant attendu. Le propos bien encadré, il ne reste plus alors à Róisín Murphy qu’à dérouler : s’autorisant bien sûr quelques bangers patentés (on connaissait déjà « Narcissus » ou « Murphy’s Law », on ajoutera à cette liste « Jealousy », le feu d’artifice disco qui clôture le disque), Róisín Machine garde sa ligne, celle d’un disque jamais dans la démesure, qui fonctionne autant par la qualité de son écriture que par la classe folle de son interprète.
Cela n’aura pas échappé à celles et ceux qui ont poncé le Future Nostalgia de Dua Lipa : quand une artiste de cette envergure impose le disco sur tout un album, c’est que le genre est destiné à un nième retour dans les bonnes grâces des majors et des faiseurs de tubes. Mais il est salutaire qu’une artiste au pédigrée de Róisín Murphy puisse faire exister cette renaissance avec autant d’élégance, de flair et de style. Et puis soyons clairs, si Róisín Machine pouvait décourager une certaine Madonna d’occuper péniblement le créneau par pur opportunisme, ce disque serait déjà une immense victoire… Mais heureusement, il est tellement plus que cela.