Rocket

(Sandy) Alex G

Domino Records – 2017
par Quentin, le 19 juin 2017
8

Alex Giannascoli (aka Alex G) et Will Toledo (aka Car Seat Headrest) ont au moins un mérite: avoir réveillé chez nous un sentiment particulier, celui d'une madeleine de Proust vécue par procuration. Expliquons-nous.

Vu mon (relativement) jeune âge, Weezer et Elliott Smith n'ont pas été la trame de fond de mon adolescence musicale. Trop jeune à l'époque, c'est avec des années de retard que s'est fait la découverte de Pinkerton et Either/Or. Qu'on aime ou non est une chose, mais même avec du recul on se rend compte du talent de ces gens qui ont su cristalliser avec justesse le son d'une époque et les attentes d'un public qui se retrouvait parfaitement dans leur apparente insouciance. C'en est presque frustrant pour nous puisque quand ces albums deviennent une si grande référence pour la majeure partie des choses qu'on écoute aujourd'hui, on a l'impression d'avoir vécu en décalage. Obligé de vivre par procuration grâce aux anecdotes des aînés qui n'étaient que des ados boutonneux dans les 90's. On se fait finalement à l'idée que tout ça c'est du passé et on fait notre deuil. Et puis à l'écoute d'Alex G, ou de Car Seat Headrest, on se surprend à ressentir ce fameux sentiment d'insouciance nonchalante. Certes, on a passé les 18 ans et nos baggys sont rangés dans le fond de l'armoire depuis longtemps mais depuis lors, on s'est aussi fait à l'idée qu'on resterait d'éternels adolescents.

Pourquoi associer les noms d'Alex G et de Car Seat Headrest dans cette chronique ? En réalité, on trouve assez compliqué de passer à côté de certaines similitudes lorsqu'on compare la musique des deux projets et le chemin parcouru pour arriver là où ils en sont aujourd'hui. Sortis des limbes du web grâce à de multiples sorties sur Bandcamp, poussés par de vraies fanbase, les deux projets sont pris sous l'aile d'un label (Domino pour Alex G, Matador pour CSH) et puis propulsé sur la scène de SXSW, à savoir le plus grand centre commercial de l'industrie musicale. Une exposition qui a permis aux deux groupes de mettre un pied dans le monde réel. Et si Car Seat Headrest s'en est plutôt bien accoutumé, Alex G a préféré garder une certaine forme d'authenticité et d'intimité. Une analyse qu'on peut aussi porter sur leur musique car même s'ils évoluent tous les deux dans un univers profondément marqué par les nineties, Will Toledo arpente avec aisance le côté "pop rock pour tous" (d'où la filiation avec Weezer) alors qu'Alex G s'amuse dans la folk lo-fi à l'audience plus restreinte (d'où la filiation avec Elliott Smith). Et puisque cette chronique lui est dédiée, il serait peut-être temps qu'on se focalise sur Rocket, le nouveau disque d'Alex G. 

Le problème avec ce dernier album, c'est qu'il ne correspond pas exactement à ce qu'on vient de vous servir en introduction - mais c'est valable pour tous ses précédents, surtout DSU. A la fois extrêmement varié et hyper complet, Rocket est objectivement le travail le plus complexe livré par l'artiste originaire de Philadelphie. Ce qui est beau et qu'on respecte chez Alex G, c'est que son intégration chez Domino n'a en rien influencé son processus créatif. On pourrait évidemment taxer l'artiste d'un manque flagrant de cohérence sur l'ensemble des titres - plus encore que sur les albums précédents - mais un rapide coup d'œil dans le rétro et on se rend compte qu'il n'en a jamais été autrement. Habitué au monde libre du Net, là où aucun diktat de la direction artistique ne sévit, il reste réellement authentique. C'est la raison pour laquelle des titres aux accents folk-country côtoient une esthétique plus industrielle, ou des inflexions r&b.

Décloisonnant toujours un peu plus son univers, Alex garde pour ligne directrice de sublimer ce que beaucoup prendrait pour des imperfections: les cuts bruts en fin de morceaux, les aboiements, les discussions en fond, ou les défauts de micro sont autant d'éléments qui viennent enrichir la palette sonore d'un album déjà très riche. Une inventivité et un talent qui finalement débordent de leur simple cadre de base puisqu'ils ont attiré l'attention de Frank Ocean qui s'est offert les services d'Alex sur Endless et Blonde

On invente évidemment rien en disant que le streaming et Internet ont considérablement affecté les relations qu'entretenaient mainstream et underground. Puisque tout doit briller, puisque tout doit être partagé et que plus rien ne gagne à être obscur, il n'existe quasiment plus de cultes autour de figures indie méconnues. Mais quelque part, on aimerait croire qu'Alex G fait partie de ceux-là. Chaque album d'Alex G nous pousse à penser qu'il est un des songwriters les plus talentueux de sa génération. Aussi intéressant sur le fond que sur la forme, Rocket vient compléter une discographie dans laquelle on ne trouve rien, ou alors très peu de choses à jeter.