Robots & Dinosaurs
Kokayi
Personnage discret de l'underground U.S., Kokayi n'en est pas moins un emcee chevronné. Ex-membre d'Opus Akoben, il a sillonné le globe, mic en main, et a même croisé la route de quelques uns des grands du jazz des nineties - le mémorable Live At Hot Brass de Steve Coleman porte sa griffe.
Remis d'une dépression qui aurait pu priver le monde de son indiscutable dextérité lyricale, il revient après un silence discographique de trois ans que l'on imagine houleux. "Autumn Rules", huitième piste de l'album, donne à entendre le récit de ce douloureux épisode et évoque, sans détours, la question du suicide. Pas larmoyant pour deux sous, le propos de ce titre est à l'image de la démarche qui a motivé le retour de Kokayi, confondant de sincérité. Car à l'inverse des décérébrés qui sévissent dans le rap grand public, il ne craint pas de jouer la carte de l'authenticité. D'ailleurs, lassé d'entendre, à longueur de couplets, ses confrères vanter les mérites du dollar et employer l'art au service de leur propre ego, il multiplie les rimes venimeuses à leur endroit mais avec une subtilité bien éloignée des affres du diss. Et comme pour les prendre à leur propre jeu, Kokayi use de beats connotés mainstream: les pianos ont des accents pop, les synthés pétaradent sur des tons que pourrait affectionner Lil' Wayne, et kicks et snares cognent à la manière de ceux rythmant les playlists des radios... Puis, au détour d'une mesure, une flûte intervient, la basse s'emballe, un effet de réverb plonge les claviers dans des profondeurs soulful et la musique s'en trouve chargée d'une vibration autrement plus émouvante. Là-dessus, Kokayi déploie un flow que bien des rappeurs doivent lui envier, s'autorisant même quelques refrains chantés avec conviction et justesse de ton.
Ces derniers temps, on déplorait, le manque de consistance du rap, soit trop occupé à satisfaire aux exigences du marché, soit trop enfermé dans des considérations hipsters. Avec Robots & Dinosaurs, le voilà à nouveau empli d'humanité.