Rin

Monolithe Noir

Humpty Dumpty Records / Capitane Records – 2022
par Jeff, le 10 octobre 2022
8

La première fois que ma route a croisé celle d’Antoine Pasqualini alias Monolithe Noir, le musicien était pour moi le visage de l’antenne bruxelloise de Balades Sonores, quand le disquaire occupait encore des locaux humides et mal éclairés en face du Bota.

Ce jour-là, j’ai acheté un disque qui tournait sur la platine du shop – My Name Is Doug Hream Blunt, je m’en souviens comme si c’était hier. Quel est le lien entre le musicien breton et ce formidable disque de jazz-funk ? Rigoureusement aucun. Cette transaction marque tout simplement le début de mon histoire avec Monolithe Noir, dont j’allais par la suite régulièrement croiser la longiligne silhouette au détour d’un concert, auquel il assistait en tant que spectateur, quand il n’en était pas l’acteur principal.

Cela fait des années que ce manège dure, et je ne peux que m’en réjouir vu le soin que le Français semble mettre à ne jamais atterrir là où on l’attend. Il faut dire que le point de départ de cette aventure avait déjà des airs de sortie de route complètement assumée : après avoir fait son écolage en tant que batteur pour des formations plutôt étiquetées indie rock, il s’est trouvé une passion pour les synthés modulaires, qui lui ont permis d’explorer quantité de nouveaux territoires sur ses deux premiers albums, Le son grave et Moira. Diamants pas toujours bien polis, ces deux disques qui voguaient entre techno, IDM et electronica rataient parfois leur cible en raison du manque de bouteille évident de leur géniteur.

On aurait pu penser que ce nouvel album serait l’occasion pour Monolithe Noir de parfaire ses (nouvelles) bases, pourtant Rin s’en va puiser sa force dans une esthétique kraut-rock, certes présente en filigrane sur ses précédents travaux, mais aujourd’hui exploitée à son plein potentiel sur la totalité d’un projet qui épate par la subtilité et l’impression de maîtrise qu’il dégage. Partant souvent d’un motif simple et procédant ensuite par accumulation de couches, Monolithe Noir crée des ambiances souvent claustrophobes et délicieusement cafardeuses, s’inscrivant à l’exact opposé du grand air breton dont il a été s’imprégner pour penser ce disque. Non, s’il fallait situer l'album géographiquement, on l’enverrait directement valdinguer du côté de Bristol, là où Geoff Barrow se console d’une reformation de Portishead qui n’interviendra jamais dans son projet Beak>.

Mais faire de Monolithe Noir un projet purement kraut serait une grossière erreur. Ceux qui ont mis un jour les pieds chez Balades Sonores quand Antoine Pasqualini en tenait encore le comptoir savent combien la palette de genres dont il prend plaisir à s’inspirer est large, combien la musique qu’il adore est aussi noble qu’exigeante. Au-delà de cette pop qui percole dans certains refrains, on décèle du post-rock façon Oiseaux-Tempête ou du drone à la manière de Tanz Mein Herz, pour citer deux formations françaises qui, comme Monolithe Noir, n’ont pas peur de nous bousculer. En tout cas, les nombreuses écoutes nécessaires pour digérer un disque qui se méritent nous ont au moins convaincus d’une chose : si Monolithe Noir a souvent eu la bougeotte par le passé, Rin doit l’inciter à se poser un petit peu. L’équilibre qu’il vient ici de trouver, beau et instable, on souhaite en profiter pendant quelques albums encore.

Le goût des autres :