Resort
Skee Mask
Pour parler d’excellence en musique il suffit de sortir le nom de Skee Mask de son chapeau. Pensez-y : qui d’autre que lui est capable de s’asseoir à la table d’un vieux briscard comme Aphex Twin et lui dire "mes disques sont aussi précis que les tiens" ? Qui d’autre que lui peut se vanter de réussir à se passer de plateformes comme Spotify jusqu’à en faire un acte politique ? Surtout, qui peut se targuer d’avoir une éthique de travail aussi propre, au point que chaque sortie soit un petit événement à lui tout seul ? Bref, du haut de ses 31 ans, Bryan Müller a une manière particulièrement anachronique de faire de la musique et de la partager.
Il y a trois ans, son second disque Pool avait prouvé qu'en dépit de sa discrétion légendaire, Skee Mask adorait impressionner. Peut-être un peu trop d’ailleurs : ce disque était un véritable cauchemar de chroniqueur. Que dire d’un disque qui est inattaquable à tous les niveaux ? Que raconter de plus sinon que sa maîtrise des grammaires électroniques ne souffre aucune critique ? Et bien avec le recul, que ce deuxième disque est finalement moins un disque qu’une magnifique démonstration de force. Pool, c’est un peu une montagne russe qui ne se serait contentée que de ses hauts, et qui aurait fait abstraction de ces respirations entre deux pics d’adrénaline.
Mais cessons de regarder dans le rétroviseur et attardons-nous enfin sur ce troisième effort. Car Resort porte bien son nom : c’est le disque le plus estival de la discographie du teuton. Alors bien évidemment, l’été de Skee Mask, ce n’est pas l’été de Peggy Gou, et il y a peu de chances qu’un tel disque remporte les suffrages autour d’une piscine d'Ibiza ou de Mykonos. Non, Resort est plutôt un plaisir solitaire pour l’heure de la sieste, et qui se savoure un casque vissé sur les oreilles, le corps engourdi. Boudant (un peu) la piste de danse et évitant de trop bander les muscles, Skee Mask prouve ici sa capacité à sortir des choses beaucoup plus lisibles, même lorsqu’il fait le choix de les noyer dans une cascade d’échos et de reverb pour en ressortir toute la beauté. Le résultat ? C’est un disque qui demeure aérien en toutes circonstances, et qui a pour lui ce mood irrésistible qui permet à ces douze titres de tenir solidement debout.
Colosse de douceur et cousin illégitime des Selected Ambiant Works, Resort est l'occasion pour Skee Mask de laisser parler son amour du dub et de l'œuvre de Basic Channel dans un disque qui transpire une nouvelle fois la maîtrise et la passion. S’il porte la griffe impeccable du plus anglais des producteurs allemands, Resort est non seulement un très beau disque à posséder, mais surtout une énième preuve de la pertinence de ce parangon de rigueur allemande, mais aussi de la chance incroyable qu’on a de vivre à la même époque que lui.