Requiem

Goat

Sub Pop Records – 2016
par Pierre, le 15 novembre 2016
9

On vous le répète assez souvent pour que vous ayez retenu la leçon: il est difficile de nier l'engouement dont font aujourd’hui preuve une bonne tripotée de groupes envers la sphère psychédélique. S’il est désormais clairement établi que cette nouvelle scène n’a rien à envier aux Pères Fondateurs, il nous arrive périodiquement de modérer ces propos, reconnaissant volontiers au sein-même du psychédélisme actuel une grande hétérogénéité. En effet, les récentes parutions ne sont pas toutes à placer à la même altitude, cela étant particulièrement lié à la capacité inhérente de ces formations à s’émanciper (ou non) du carcan bien trop conformiste dans lequel s’est réfugié l’essentiel du rock psychédélique contemporain. Et disons-le franchement, il n’y a pas réellement d’intermédiaire dans le domaine : soit c’est excellent, soit c’est bien trop prévisible et codifié pour être vraiment intéressant.

Bref, tout manichéen qu’on est, on se retrouve souvent confronté à un abîme séparant les formations qui représentent le haut du panier de celles de seconde importance, sympathiques sans être pour autant parfaitement indispensables car trop peu innovantes. Heureusement les choses ne sont pas figées et il nous arrive d’assister à quelques remaniements. Et puis Goat, donc. Si l’on avait été attentifs aux deux albums précédents de la formation masquée, ceux-ci ne nous avaient que partiellement séduits. Bon, on va pas faire nos chieurs non plus, on admet bien volontiers la très grande qualité de ceux-ci. Mais jusque là, Goat semblait avoir le cul entre deux chaises, tiraillé entre un rock psyché martial, mastoc et une musique davantage tribale et expérimentale.

Fort heureusement sur Requiem, troisième et double (!) album des Suédois, la formation pose enfin son fessier quelque part et explore à fond le côté tribal de la chose. Et en délaissant la rage électrique des efforts précédents, Goat prend le contrôle d’une musique hypnotisante, ratissant jusqu’aux entrailles de la Terre les multiples influences issues des différents continents. Si Requiem est un album déroutant pour cela, il gagne paradoxalement en cohérence en proposant à son auditeur la bande-son idéale d’un rite ancestral mêlant magie vaudou et incantations insaisissables. Alors on ne sait pas combien de chèvres a égorgées le groupe durant l’enregistrement de cet album, mais le trip quasi-sectaire qui en résulte est un disque d’excellente facture, très contemplatif certes, mais néanmoins assez percussif pour réveiller en vous les instincts les plus primitifs. 

En s’affranchissant des leitmotivs ainsi que des clichés dont souffre la musique psychédélique actuelle, Goat gagne nettement en profondeur et en authenticité. Les chants tribaux (voire presque sorciers) se mêlent parfaitement aux longs jams durant lesquels s’affrontent et s’épousent sur un fond de guitare quelques flûtes amérindiennes, percussions africaines ou xylophones.

Cet album de Goat, s’il est imposant par sa durée (environ une heure), il l’est aussi et surtout par son génie. Véritable plaidoyer pour l’expérimentation, Requiem marque une volonté puissante de sortir des sentiers battus et de tenter, juste tenter quelque chose d’autre. Alors oui, il fallait une sacrée paire de couilles pour modifier une formule qui avait valu au groupe d’être loué par la critique. Mais face à ce Requiem dont l’écoute s’avère tout à fait addictive, on ne peut que saluer la démarche et peut-être s’envoyer dans le gosier une bonne rasade d’ayahuasca.