REPLICA 2

Hologram' Lo & Huntrill

Don Dada Records  – 2024
par Yoofat, le 19 juin 2024
8

Un personnage haut en couleur comme celui-ci existe-t-il vraiment ? Huntrill dit-il toute la vérité, rien que la vérité dans ses textes ? Comme 100% des rappeurs de la planète, ce dernier répondrait évidemment par l'affirmative si on lui posait la question, sans qu'il soit possible de vérifier chacune de ses allégations. Depuis ses premiers titres en 2017, ce jeune homme se présente comme une sorte de hustler ultime, voguant entre Londres, Bruxelles et Amsterdam pour les affaires et le shopping des nouveaux designers en prétendant n'avoir aucunement besoin de l'argent du rap pour acheter une, deux, mille paires de Margiela.

Affilié au label Don Dada depuis environ 2020 et la sortie de "Margiela au pluriel" d'ailleurs, la bonne entente entre lui et les ex-membres de 1995 paraît absolument évidente. Au-delà du goût prononcé pour les oripeaux, il y a un amour pour le chinage et pour la sophistication chez Huntrill et Hologram Lo'. Chez le producteur parisien, cela se ressent par le choix de ses samples, de ses orientations musicales variées mais toujours de bon goût. Chez le rappeur francilien, ce sont ses références pas nécessairement pointues mais finement servies et son sens de la formule ultra insolent qui incarne le mieux cela. REPLICA 2 porte en lui toutes ces qualités et en devient ainsi un objet absolument essentiel pour quiconque apprécie les rimes rares et riches couchées sur des productions soyeuses.

Le rap de Huntrill n'est pas celui d'un nouveau riche classique à la Ninho ou à la Gazo par exemple. Bien sûr, ce qu'il nomme  "le syndrome du frigo vide" lie les trois rappeurs lorsqu'il s'agit de swiper la CB mais la différence, de nouveau, se fait dans le choix de la sophistication de Huntrill. Se démarquer en portant des vêtements de luxe est une chose, chiner toutes les boutiques afin de trouver LA pièce rare en est une autre. Pour les rimes, c'est pareil : interdit de porter les mêmes que les autres. Dans REPLICA 2, Huntrill s'arme d'hyperboles pour le moins surprenantes, se situant sur l'étroite frontière entre la bêtise et le génie pur.  "J'ai appris à nager dans un hôtel 5 étoiles" répond-il quand on lui demande s'il apprécie la simplicité. À l'instar d'Infinit' qui se voyait comme "un genre de Jay-Z arabe" sur son album 888, Huntrill s'inspire également du rap si bête, mais si bon et si jouissif de Shawn Carter à l'époque d'  "Imaginary Players". La recette est simple : on se compare aux autres rappeurs et on se moque d'eux aussi durement que possible. Les éclats de rire sont garantis quand le MC à la baguette manie bien le verbe.

Dans son excentricité et dans ses ambiances, celui qui se fait appeler Bigstraat a du Playboi Carti en lui. Ce mélange entre un rap new-yorkais classique et des facéties plus modernes est donc orchestré par Hologram Lo', qui, depuis une dizaine d'années peaufine son savoir-faire entouré de rappeurs prodigieux. L'un des architectes des derniers albums de Nekfeu ou du fameux UMLA d'Alpha Wann semble s'épanouir différemment sur REPLICA 2. Trouver la bande-son à ce personnage haut en couleur n'est pas chose aisée, mais cette mission grisante est ici couronnée d'un franc succès. Au-delà des samples riches et variés qui habillent des productions élégantes, plusieurs extraits de films ou d'interviews viennent ajouter une amplitude à ce projet, l'inscrivant dans plusieurs réalités. La référence à Ghost Dog, chef d'oeuvre de Jim Jarmusch, insiste sur le côté solitaire, autodidacte et marginal du rappeur narrant à plusieurs reprises son aversion pour les lois et ses qualités de voleur façonnées par le besoin. D'autres extraits d'interviews, comme une de Snoop Dogg à la fin de  "Supplier" ou celle d' Alpha 5.20 à la fin de "TRISTESSE QUI COÛTE CHER" inscrivent quant à eux cet album dans une réalité plus concrète et surlignent deux éléments essentiels de la musique de Huntrill : son apparente légèreté lorsqu'il s'agit d'évoquer sa consommation de lean ou son matérialisme maladif et la tristesse qu'il cherche à dissimuler à travers ses paires de Margiela et ses gobelets mauves.

Ce court-métrage de 8 titres (qui en compte 11 si on ajoute les 3 tracks du premier REPLICA) réalisé par Hologram' Lo' n'est pas sans nous rappeler les formats courts de l'une de ses inspirations majeures. En effet, The Alchemist, producteur majeur du rap américain depuis une vingtaine d'années, sort régulièrement des projets courts qu'il compose entièrement et dans lequel n'apparait qu'un rappeur, comme pour lui créer une forme de biopic sonore. Après H Jeunecrack avec La pieuvre, Lo' s'est donc occupé d'un autre excellent rappeur en la personne de Huntrill. Ce qui est sûr, c'est que ce format d'album court entre un producteur, un rappeur et une direction artistique travaillée a tout ce qu'il faut pour se démarquer et pour jouer sur sa replay value à l'ère du streaming. Dans la francophonie, Jeanjass suit aussi le modèle de Uncle Al (on l'a notamment vu produire des projets pour Fuku, Mairo et Keroué en moins d'un an), un modèle dont le succès est certes limité aux vues de sa proposition ésotérique, mais accueilli avec enthousiasme par les fans de ce rap exigeant, artisanal et rare. Les fans de Grünt acquiescent fort.