R.E.K.S. (Rhythmatic Eternal King Supreme)
Reks
Entre jeunes loups d'un côté, et vieux cons de l'autre, le débat fait rage. Que reste-t-il du hip hop? Ce mouvement tel qu'on le connaît aujourd'hui a-t-il encore quelque chose à voir avec ce qu'il fut il y a 10 ou 20 ans? Que reste-t-il de cette époque bénie que sont les années 90, celles qui ont vu éclore Nas, le Wu-Tang ou Biggie Smalls? Pas grand-chose, vous diront les jeunes loups. Et on ne peut pas vraiment leur donner tort. Le rapgame a quitté les ghettos pour prendre possession des quartiers huppés et les hérauts d'antan ont perdu en chemin une bonne partie de leur street cred tandis qu'une nouvelle vague aux valeurs un peu moins respectables a pris possession des charts. Evolution somme toute logique pour tout mouvement qui accède à une certaine reconnaissance après avoir fait gronder l'underground. Mais tandis que des gens comme Lil' Wayne, Rick Ross ou Wiz Khalifa font tourner la planche à billets, il reste tout un pan de l'industrie dont l'horloge semble s'être arrêté en 1997 et qui continue de produire des disques pour vieux cons. Reks, rappeur de Boston fait partie de cette catégorie. Débarqué dans le milieu à l'entame des années 2000, Corey Isiah Christie ne s'est jamais départi de sa ligne de conduite: produire un hip hop intègre, quasi anachronique et qui résonne comme un hommage à une époque défunte. D'ailleurs, certains de ses modèles ne s'y sont pas trompés et le bonhomme a collaboré avec des gens aussi respectables que Ed O.G., Statik Selektah ou J-Live.
Aujourd'hui reconnu par ses pairs, Reks nous revient avec un album au casting particulièrement impressionnant. En effet, on retrouve sur ce R.E.K.S. (Rhythmatic Eternal King Supreme) un sacré paquet de producteurs de légende: DJ Premier, Pete Rock, Hi-Tek ou encore The Alchemist. Bref, juste ce qu'il faut pour faire saliver les amateurs de hip hop qui sont restés bloqués à Illmatic ou Ready to Die. D'autant plus que malgré leur âge avancé, les beatmakers en question n'ont rien perdu de leur talent et bien saisi les intentions de Reks. Ce sixième album studio du emcee du Massachussets est donc un enchaînement assez irrésistible de beats efficaces sans être grandiloquents, sur lesquels vient se poser un flow dont le mérite réside dans sa sobriété. Pas besoin ici de beugler comme un animal en compagnie des homies (bon, y'a quand même Freeway et Styles P qui viennent pousser la chansonnette) ou de se lancer dans une course effrénée à la punchline qui fait mouche. Face à un rap moderne qui privilégie souvent la forme au fond, Reks oppose une vision certes surannée mais ô combien jubilatoire de la joute verbale. Ceci étant, et c'est là tout le problème de cette nouvelle galette, on se demande encore un peu qui s'extasie devant ce genre d'hommage à peine voilé. En effet, si le emcee américain bénéficie d'une reconnaissance critique et artistique indéniable, on a quand même la légère impression que pour l'industrie et les médias, Reks pisse dans un violon. D'ailleurs, le bonhomme en est déjà à son sixième album et il y a fort à parier que nombre de nos lecteurs le découvrent l'artiste avec ce R.E.K.S. (Rhythmatic Eternal King Supreme).
Alors oui, soyons réalistes: ce disque ne va certainement pas se vendre par camions entiers et ses singles ne tourneront en heavy rotation sur Trace ou MTV. Il faut dès lors considérer ce genre d'opus comme une forme de résistance, de révolte pacifique face à un rapgame qui s'ankylose et se cherche en permanence de nouvelles têtes de gondole taillables et corvéables à merci. Et rien que pour cela, Reks mérite tout notre respect. C'est déjà pas mal, mais est-ce finalement suffisant?