Regain de tension
La Rumeur
La Rumeur est un groupe à part, unique dans un paysage du hip hop français bien morne; un groupe qui jouit d’ailleurs d’une attention médiatique non négligeable. Mais c’est malheureusement pour de mauvaises raisons que Ekoué, Hamé, Philippe et Mourad se retrouvent sous les feux de la rampe. Petit récapitulatif : en 2002, alors que la campagne présidentielle bat son plein et que l’hystérie sécuritaire plane chaque soir à 20h sur une France apeurée, La Rumeur sort le réussi L’Ombre sur la mesure. Pour promouvoir l’album, le groupe sort parallèlement un magazine gratuit et rédigé par leurs soins. C’est précisément deux articles de cette publication qui vont mettre le feu aux poudres. ‘Ne sortez plus sans vos gilets pare-balles’, dans lequel Ekoué égratigne notamment la toute-puissante Skyrock, entraîne le dépôt d’une plainte par cette même radio pour incitation à la haine et au meurtre et la destruction de l’intégralité des exemplaires. Quelques jours plus tard, le ministère de l’Intérieur dépose une plainte pour diffamation publique suite à un autre article du même magazine (‘L’insécurité sous la plume d’un barbare’) dans lequel Hamé parle sans ambages des comportement policiers en banlieue. Trois passages de ce texte porteraient atteinte ‘à l’honneur et à la considération de la police nationale en ce qu’il insinue l’existence de conduites illégales de la part des forces de police’. Si le plainte de Skyrock ne sera jamais instruite, Hamé recevra une convocation au tribunal pour la seconde affaire. Epilogue de ce déplorable feuilleton le 7 décembre dernier. Le tribunal a rendu un verdict en faveur de l’artiste estimant que ses propos 'relèvent de la liberté d'expression et que replacés dans leur contexte, ces propos ne constituent qu'une critique des comportements abusifs, susceptibles d'être reprochés sur les 50 dernières années aux forces de police à l'occasion d'événements pris dans leur globalité.'
Et voilà tout le problème de La Rumeur. Déjà une bonne quinzaine de lignes que je vous parle du groupe sans avoir abordé à une seule reprise ce qui reste leur activité principale : un hip hop franc et abrasif qui n’a de compte à rendre à personne. Mais ce paragraphe introductif n’aura pas été inutile : il aura servi à replacer la parution de leur nouvel album dans son contexte. En effet, les évènements qui sont venus bousculer le quotidien du groupe ont eu à n’en point douter une influence non négligeable sur l’enregistrement de ce Regain de tension. Un climat d’urgence qui se traduit par un son brut et un album court (40 minutes) . Responsable de la production, Soul G. martèle l’auditeur avec des beats sombres et dépouillés qui tranchent avec les ambiances jazzy et sereines du précédent album mais qui collent parfaitement à des textes plus aiguisés que jamais. Tous les thèmes chers au groupe sont passés en revue, avec en toile de fond les récents démêlés avec la justice: la complaisance du milieu, le formatage du hip hop, le lourd passé colonial de la France ou les plaies béantes qui font souffrir ces immigrés de la deuxième et troisième génération. Le groupe a énormément de choses à recracher, mais prend le temps de le dire. Le flow, posé et intelligible, sert des textes sans concessions marqués au fer rouge par un redoutable sens de la formule. Tranches d’une vie qui ne fait pas de cadeaux, les douze morceaux de cet album sont un énorme coup de pied dans une fourmilière endolorie.
Critique et critiquable, intègre mais pas intégriste, véritable bastion du rap militant et engagé, La Rumeur est un groupe honnête et sincère qui convainc par la qualité de ses propos, justes et tranchants. Et ce sans jamais tomber dans la provocation facile. Véritable manifeste trempé dans la colère et la révolte, reflet d’une société sans pitié et inégale, Regain de tension stigmatise avec brio une réalité, suscite la réflexion et force l’admiration.