Reflections
Hannah Diamond
Ces dernières années, Hannah Diamond n'a pas chômé, alternant entre ses apparitions régulières chez les agitateurs de PC Music et ses activités dans la photographie et l'audio-visuel - c'est elle qui réalise de A à Z ses clips et ses pochettes. Une hyperactivité qui pourrait bien expliquer les reports incessants de la sortie de ce premier album qui arrive six ans après ses débuts sur Soundcloud. Le projet avait en effet d’abord été annoncé en 2016 avec quelques singles à la clé, pour se transformer ensuite fin 2017 en un mix assez confidentiel qui comprenait déjà les morceaux « Never Again », « Concrete Angel » et « The Ending ».
Si son hyperpop pour cœurs aussi brisés qu'hyperconnectés ne manque pas d'atouts, évacuons d'abord ce qui nous dérange chez elle : la distance qu'elle crée avec l'auditeur, accentuée par cette voix robotique qui limite fortement les interactions consolatoires sur ses morceaux plus tristes. Les émotions, parfois plus conceptuelles qu'humaines, sont comme cristallisées et essentialisées pour n’en garder que la quintessence. On souhaiterait plus de tension, comprendre son instabilité émotionnelle, ressentir sa vulnérabilité pour vibrer avec elle et partager nos larmes, mais une impitoyable machine à fabriquer des concepts et de savantes manipulations synthétiques nous privent d’entendre les trémolos de sa voix et sa respiration haletante. Mais elle n’en demeure pas pour autant une chimère de la toile comme certains pouvaient le penser au début de sa carrière : son côté freak et marginal, son ultra-sensibilité et sa maladresse en font un personnage attachant auquel on peut parvenir à s’identifier. Son ingénuité et ses doutes existentiels sont parfois poussés tellement loin (écoutez « Reflections ») qu’on a l’impression d’avoir affaire à une Alice qui serait trop longtemps restée de l’autre du miroir et qui découvrirait pour la première fois la complexité des relations amoureuses. Dans ce cadre, le prosaïsme des paroles d’Hannah Diamond invoque des estampes immédiates qui donnent un côté très visuel à son album. En suggérant plutôt qu’en se complaisant dans des lamentations interminables, la chanteuse britannique se montre à la fois pudique et particulièrement attachante. Elle se risque même parfois à l’autodérison et à l’humour à froid, comme sur le très ironique « Shy » ("You said: "Let's kiss"/ I said nothing /Maybe, I should have/ Said something").
Ses projections idylliques semblent s’adresser à des entités non-humaines ou conceptuelles (« Make Believe », « Concrete Angel », lequel marque d’ailleurs meilleure prestation d’un A.G. Cook qui lâche enfin la bride pour nous offrir un morceau parfois tortueux mais très jouissif quand on aime déconstruire aux marteau-piqueur la ritournelle pop pré-mâchée qu’attend l’auditeur lambda qui se serait trompé de playlist Spotify). Même quand ils sont composés en réaction à une peine de cœur, des morceaux comme « Love Goes On », « Fade Away », ou « The Ending » nous montrent une Hannah Diamond très vulnérable et prisonnière de ses sentiments qu’elle est seule à éprouver dans une relation qui bat de l'aile. Heureusement, les morceaux « Never Again » et « True » se montrent plus grinçants et même parfois revanchards comme sur « Invisible ». Pour illustrer ce dernier, Hannah Diamond a d’ailleurs pris soin de nous livrer un clip comme à son habitude bien chéper: déçue de ne pas attirer suffisamment l’attention de son crush totalement aveugle à ses charme, c’est sans la moindre hésitation qu’elle plonge dans une réalité alternative complètement méta où son hologramme doté du don d’ubiquité sillonne les scènes et les messages publicitaires du monde entier. Une frénésie qui la mènera d’ailleurs à l’autodestruction de son délire mégalo et à l’acceptation de soi. Au-delà de ce solipsisme et de ce narcissisme délirants, on y retrouve avec bonheur le ton ironique de PC Music qui a toujours su subtilement porter en dérision nos fantasmes consuméristes et transhumanistes les plus déjantés.
En définitive, en sortant ce projet qui ressemble plus à une compilation qu’à un véritable album, Hannah Diamond semble se complaire dans le développement de son personnage et de sa signature vocale. Peu amène à quitter sa zone de confort et sa familiarité avec les productions du big boss A.G. Cook et d'EASYFUN, elle semble se distancier des élans arty et audacieux de GFOTY ou SOPHIE. Mais peu importe cette légère suffisance qui peut d’ailleurs s’expliquer par ses activités audio-visuelles : en bon alien cynique de la pop, l’ADN des beautiful freaks de PC Music coule bien dans les veines de la poupée Hannah Diamond, qui pervertit la pop et ses codes de l’intérieur.