Redemption
Jay Rock
Tout est une question de timing et il existe des maîtres en la matière. On peut citer Zizou qui annonce son départ du Real Madrid alors qu’il est au sommet de la chaine alimentaire du foot, on peut évoquer la reconversion de Dr. Dre en vendeur de casques audio quand sa carrière semblait au point mort, on peut citer Frank Ocean qui ne sort de sa grotte que pour balancer des chefs d’œuvre. Jay Rock, lui, est un véritable amateur et le démontre par la gestion douteuse du plan promo de Redemption. La problématique est simple: comment exister dans les cœurs des fans ou dans la playlist RapCaviar de Spotify (10 millions d'abonnés quand même) quand on sort son disque le même mois que ceux de Kanye West, Kid Cudi, Pusha T, Drake et Nas ?
Malgré cette décision bien maladroite, parlons tout de même du contenu puisque le MC de 33 ans est avant tout un membre de l'écurie TDE, dont les discographies de Kendrick Lamar, SZA et ScHoolboy Q démontrent tout le poids et la pertinence. Le joyeux bordel s’ouvre sur l’explosif « The Bloodiest » dont le deuxième couplet balaie pas mal d'interrogations qu'on pourrait avoir sur la capacité de Jay Rock à élever son niveau de jeu dans les grandes occasions: tel le Mexique version Russie 2018, le Californien nous prend par surprise avec une agressivité qui fait dresser les sourcils. Mieux, cette dynamique positive se confirme sur « For What It’s Worth » et « Knock It Off ». Mieux encore, le MC de L.A. n’a aucun mal à s’approprier l’aura de Kendrick Lamar sur le sulfureux « Wow Freestyle » ou à tenir tête à J. Cole sur « OSOM ». L’alchimie fonctionne et les pistes s’enchainent sans peine – l’unique déconvenue concerne finalement « King’s Dead » dont la hype s’est totalement essoufflée depuis la B.O de The Black Panther, sorti en février dernier.
Truffé de bonnes intentions, Redemption n’est pourtant pas l’évènement divin espéré. Musicalement, le disque ne franchit aucune frontière inexplorée et c'est fort regrettable: Jay Rock aurait pu être le Pusha T de TDE, celui qui fait office de cobaye; ses disques auraient pu être des antichambres expérimentales pour le label, un condensé de créativité sur lequel chaque membre insufflerait sa science et son talent sans mettre en péril une fragile carrière internationale. Mais au contraire, la prise de risque est minime et Jay Rock, en bon vieux briscard psychorigide de 33 ans, semble faire très attention à ne jamais sortir de sa zone de confort - ou alors à s'incruster dans celle des autres. En façade, Redemption est donc un joli condensé de bangers mais, lorsqu’on en gratte la surface, l’ensemble parait soudainement vide et bien creux.
Chaque superstar du rap a dans sa discographie un album qui change la donne ; LE disque adulé par les critiques et les fans qui fait basculer des carrières et qui sépare les suiveurs des meilleurs. Mais contrairement à ce qu'on aurait aimé voir venant d'un mec dont on connaît le potentiel, Redemption n’est pas To Pimp A Butterfly. La problématique évoquée initialement reste valide: solide et certainement digne de la maison TDE, ce troisième LP n’aura jamais l’exposition qu’il mérite car, en restant tapi dans l’ombre des plus grands, la discographie de Jay Rock paraitra toujours moins brillante. Triste constat.