Real Bad Boldy
Boldy James
2020 fut une sacrée année de merde. Pourtant, pour bien plus de monde qu’on ne l’imagine, le tableau ne fut pas si noir que cela. Et parmi ces bienheureux, on compte toute une nouvelle génération de MC’s adeptes d’un rap dont le principal point commun semble être la volonté de faire comme si le mot « refrain » n’existait pas – ou du moins de ne pas en faire l’alpha et l’omega d’un bon morceau. Une communauté d’esprit en somme, en totale inadéquation avec un rap 'du moment' qui se veut rutilant, extravagant et surtout horriblement dépendant aux usages de 2021. Ces artistes se nomment Roc Marciano, Your Old Droog, Westside Gunn ou Mach-Hommy et franchement, malgré leur amour pour les ambiances cafardeuses et les logorrhées verbales, ils ont mis des paillettes dans nos vies confinées.
Si on les aime tant ces garçons pas vraiment dans le vent, ce n’est certainement pas pour l’esthétique qu’ils prônent, et qui propose globalement une mise à jour d’un logiciel développé sur la côte est dans les années 90. Ce qui est plus intéressant, c’est que chacun d’entre eux fait respirer son rap à son propre rythme, s’appuie sur une personnalité extrêmement forte, donnant à cet élan collectif quelque chose de frais et d’autrement plus intéressant que le nouveau projet du millième Lil Whatever poussé par des majors qui jouent pleinement leur rôle – celui de te gaver jusqu’à ce que tu n’aies qu’une envie, celle de passer à la prochaine mode qu’ils te sortiront comme par magie de leur manche. Membre éminent et émérite de cette fameuse communauté, Boldy James a terminé l’année 2020 comme il l’avait commencée : avec un album. Et le rappeur de Detroit de soigner sa sortie : ce disque est peut-être le meilleur des quatre pondus en douze mois de temps, dont un sur Griselda, label qu’il a rejoint en août. Mais à peine débarqué, Boldy James est déjà dans l’infidélité : il sort sur le label de Real Bad Man, crew d’inconnus qui produit l’intégralité du disque.
Celles et ceux qui nous lisent et qui avaient peut-être été rebutés par le côté claustrophobe et rachitique de ces deux derniers disques se réjouiront de retrouver un Boldy James plus joyeux (enfin, façon de parler) et plus proche dans l’esprit de The Price of Tea in China, formidable collaboration avec le non moins formidable The Alchemist. Quant à ceux qui le découvrent, ils vont pénétrer dans son univers en écoutant ce qui est peut-être son disque le plus accessible. En effet, malgré une absence manifeste de hooks immédiatement identifiables par nos cerveaux atrophiés par l’économie de l’attention, tout sur Real Bad Man respire la simplicité et la facilité, et la beauté comme la force du disque résident dans la fluidité avec laquelle Boldy James, son équipe de producteurs et ses invités triés sur le volet (Mayhem Lauren, Stove God Cooks, Eto) mettent leur plan à exécution : sans tricher sur la marchandise, et sans jouer la carte de la surenchère stérile, Boldy James brille avec son flow monocorde et ses histoires de concrete jungle et ses leçons de vie, lui qui a bientôt quarante ans commence à caresser enfin le succès. Franchement, quand on voit l’année qu’il vient de vivre, on hésite entre « putain il était temps » et « c’est amplement mérité ». Ou les deux en fait.