Radio Suicide
Makala
Avoir 25 ans et savoir exactement ce que l'on veut de la vie, ce n'est pas si fréquent. Surtout quand on a grandi avec MTV, le Hit Machine de Charlie et Lulu et une vision assez enjolivée de l'âge adulte. Jadis, ce que l'on souhaitait par-dessus tout, c'était de devenir millionnaire le plus jeune possible en faisant de la musique, des films, de la télé ou de la radio. On rêvait par mimétisme, en essayant de reproduire la vie de ceux qui berçaient notre enfance.
Au fur et à mesure que notre culture générale grandissait, que les portes de notre perception s'ouvraient et que nous découvrions le monde tel qu'il est vraiment, nos rêves s'évaporaient tristement. Limewire, Kazaa, Mininova ou T411 nous ont fait voir tant de choses... Mais ces logiciels et ces sites internets ne proposaient pas de télécharger l'audace et le cran nécessaires pour aller au bout de nos désirs. Alors, quand on racontait aux autres nos envies de devenir acteur, rockstar ou saltimbanque, que l'on était démuni de la force mentale nécessaire pour passer outres les moqueries et les remarques, on rentrait machinalement dans les rangs avant de consulter, non sans tristesse, le catalogue des "métiers bien rangés". Parce qu'on craignait de paraître "wack" aux yeux des autres, ne sachant pas qu'une alternative existait.
Avoir peur d'être wack était intolérable aux yeux de Makala. Avec Pink Flamingo (aka Varnish la Piscine), le rappeur suisse créa alors la Superwak Clique, un collectif genevois regroupant ses amis rappeurs, acteurs, graphistes ou plus généralement artistes. L'idée était d'avancer ensemble, de combattre la peur en équipe afin de continuer de rêver ensemble et de créer le contenu le plus unique possible. Parmi les nombreux projets estampillés Superwak Clique, Radio Suicide se démarque assez facilement ; son ambition, sa créativité et son exécution rendent d'ores et déjà cet album unique, que ce soit en comparaison avec ceux des autres membres du groupe (Di-Meh et Slikma) ou avec n'importe quel artiste sur la planète.
Le son chaud, exotique, parfois même pornographique que Varnish La Piscine avait théorisé sur Gun Love Fiction EP, est ici reconduit avec plus de variations, de détails et de brio. Attention toutefois : malgré les apparences, Varnish, producteur exclusif du projet, n'est pas "le Pharrell Williams français". Bien que l'influence soit évidente, elle est loin d'être la seule. Ainsi la bossa nova, le jazz, la musique électronique ou le reggae viennent enrichir une palette musicale incroyablement colorée mais parfaitement cohérente. À les écouter, on croirait que Varnish et Makala ont fini Limewire. Si le premier semble avoir écouté et assimilé les productions musicales les plus nichées possible, le second a quant à lui aspiré toute la musique populaire des années 80 jusqu'aux années 2000: Britney Spears, Nelly Furtado, Benny Benassi, ou le fantôme de Prince habitent tour à tour le rappeur genevois et magnifient ainsi un flow qui ne s'essouffle jamais, et varie à chaque piste.
Makala n'est certainement pas le rappeur au plus gros compte en banque, mais une chose semble évidente à l'écoute de l'album : personne ne s'amuse autant que lui dans un studio. Dans Radio Suicide, Makala est un acteur, une superstar, un type tellement frais qu'une mannequin qu'il a kidnappé se retrouve ravie de sa situation. Dans Radio Suicide, Makala chante une sérénade à la liberté, à "Brigitte Barbade", aux femmes du monde entier". Dans Radio Suicide, Makala est "King Pistol" ou encore "Le roi de la Floride", capable d'egotrips monstrueux comme d'introspections certes peu nombreuses mais, de ce fait, d'autant plus précieuses. Makala multiplie les casquettes, est crédité à la réalisation du clip de "Big Boy Mak" et anime même son propre show (débile à souhait) sur sa chaîne Youtube. Toucher à tout, comme un enfant, mais avec sérieux et dévouement : "La maîtrise d'un OG 'vec l'esprit d'un rookie". Et vous, si vous n'aviez pas eu peur d'être wack, que ce serait-il passé ?