Radio Retaliation
Thievery Corporation
On retiendra la leçon : toujours se méfier d'un disque qui commence par un bruit d'alarme. Dans le cas du cinquième album de Thievery Corporation, cela veut dire qu'attention, la catastrophe est proche. Et elle sera d'ampleur, car, en effet, Radio Retaliation n'est rien de moins qu'un naufrage.
Rob Garza et Eric Hilton avaient pourtant jusqu'ici réalisé un sans faute. En 1997 ils sortaient Sound from the Thievery Hi-Fi, un grand disque de trip-hop élégant et lunaire. Puis des disques comme The Richest Man of Babylon, The Cosmic Game ou une collaboration fructueuse avec Bebel Gilberto – son magnifique Tanto Tiempo – n'ont fait qu'assoir un peu plus le duo au trône du downtempo, prenant du coup la place des non moins estimables Kruder & Dorfmeister.
Pour le coup, avec ce nouvel ouvrage, on peut se demander si Thievery Corporation n'a pas basculé dans le dégueulasse – le mot est pesé – de la musique lounge. Rien dans cet album ne témoigne d'une compréhension mesurée et respectueuse de l'altérité musicale. On sombre dès les premières secondes dans un exotisme pompier des plus affligeants. Il y a quelque chose d'inadmissible à inviter la fille de Ravi Shankar, le fils de Fela Kuti (Femi en l'occurence) ou le très prometteur Seu George pour leur offrir un espace d'expression aussi infime et caricatural. Car il ne s'agit pour eux que de proposer un cliché de leur pays pour agrémenter des rythmes trip-hop démodés et des ambiances ouatées entendues mille fois. C'est clair : s'ils sont sans doute de très bonne volonté, Rob Garza et Eric Hilton font ici preuve de la finesse anthropologique d'un Tintin au Congo.
On attendait bien plus d'un groupe qui plus d'une fois avait démontré son ouverture d'esprit et son esprit voyageur. Ils ratent ici leur sujet en profondeur. Et cela ne concerne pas que leur dimension world : si j'accentue cet aspect-là, c'est bien parce que jamais il n'a été aussi présent dans un de leurs disques. Or, même dans leur tentative pop ou trip-hop, le raté est presque intégral. Il faut par exemple écouter "Beautiful Drug" qui à lui seul nous convainc de la bonne tenue de Portishead sur Third. On a là l'impression de retomber dix ans en arrière avec les pires enfants de Massive Attack ou Archive. Cette espèce d'immobilité et de paresse dont souffrent toutes les compositions nous agacent d'autant plus que l'album se veut percutant, politique jusqu'au bout des ongles. C'est loupé et l'on se retrouve face à la pire contradiction : une envie de révolution les charentaises aux pieds.
Pour le dire autrement, les deux premiers tiers de Radio Retaliation sont tellement mauvais qu'ils dévastent toute l'affection qu'on pouvait avoir pour Thievery Corporation. Qu'importe que le dernier mouvement de l'album relève la tête – notamment un "Shining Path" plutôt bon, le mal est fait et on ne reviendra pas dessus.