Radical Optimism
Dua Lipa
Ces dix dernières années, deux tendances, indissociables, ont contribué à un retour de la pop dite « mainstream » an centre du jeu : d’abord le désir de certaines des plus grandes stars de la planète d’acquérir une légitimité qui ne se compterait pas en milliards de streams mais aussi en louanges de personnalités ou publications plutôt « intellectualisantes ». Dit plus prosaïquement, elles réinvestissaient un espace laissé vacant par Madonna dans les années 2000. À ce phénomène est venu se greffer l’envie ressentie par certains des producteurs les innovants de notre époque d’investir les plus grands studios, et d’utiliser les stars les plus solaires de la planète comme des agents doubles. Arca, SOPHIE ou A.G. Cook ont ainsi œuvré à une plus grande porosité entre mainstream et avant-garde, nous offrant des disques qui avaient le double avantage d’être des plaisirs instantanés et des œuvres aux grilles de lecture multiples.
Avec Future Nostalgia en 2020, Dua Lipa se situait encore bien loin de ses aspirations arty. Accompagnée d’une solide équipe de faiseurs de tubes, elle dépoussiérait une grammaire eurodance et disco, et nous servait la B.O. de nos plus mémorables craquages covidés – on l’a déjà oublié, mais l’album était arrivé en même temps que la première vague de confinements. Quatre ans plus tard, tout semble avoir été fait pour présenter Dua Lipa sous un jour nouveau – avec pour geste symbolique le reset total de son compte Instagram. Et en interview, Dua Lipa donne le ton : Radical Optimism aurait été inspiré par des sonorités Britpop (concept vague au possible, rappellons-le) et les expérimentations de groupes comme Primal Scream – mais de quel Primal Scream parle-t-elle, car celui de Screamadelica n’a pas grand-chose à voir avec celui de Evil Heat et encore moins celui de Riot City Blues ? Et pour bétonner le plan, la britanno-albanaise s’est offert les services d’un Kevin Parker pour qui Tame Impala est clairement relégué au rang de passe-temps, du songwriter Tobias Jesso Jr. (capable de bosser avec Harry Styles puis d'enchaîner sur FKA Twigs), et de Danny L Harle, diplômé avec grande distinction de l’université PC Music. Bref, nous étions prêts pour le mindfuck pop de 2024.
Mais dès « Houdini », on a vite compris qu’on ne risquait pas la méningite, mais juste une bonne crampe aux mollets. Le titre a tout du tube electro-pop qu’un Max Martin se serait bien vu écrire pour le prochain album de Katy Perry sur lequel il travaille sûrement. Et de constater que celui-ci donne parfaitement la couleur d’un disque auquel Dua Lipa et son entourage essaient de donner une réelle profondeur à travers un storytelling qui ne tient pas la route un seul instant. Tout sur Radical Optimism est finalement assez superficiel, et parfois terriblement creux ou forcé, comme sur « Falling Forever » sur lequel Dua Lipa se donne bien trop de mal pour réussir la synthèse entre Abba et Lady Gaga. Cela ne veut pas pour autant dire que le disque ne fonctionne pas, que du contraire : les bons moments ne manquent pas, et le label n’aura aucun mal à extraire quelques singles qui auront droit à leur rotation lourde et leur synchro pub. On note en tout cas que c’est quand elle opte pour une sorte de « service minimum » que Dua Lipa est la plus convaincante, comme sur la ballade « These Walls » qui met le mieux en musique le titre de l’abum, ou « Maria » avec son riff de guitare qui n’est pas sans rappeler le « The Time Is Now » de Moloko et ses claviers rondoveneziano-esques qui donnent une drôle de saveur à la fin du refrain.
Considéré comme le blockbuster de notre été 2024, Radical Optimism colle à l'image que l'on se fait du concept : beaucoup de moyens pour finalement peu de résultats. Ce troisième album nous raconte l’histoire d’une pop star pour qui on a voulu créer de toutes pièces un costume qu’elle semble incapable d’enfiler, et laisse apparaître une artiste à qui l’on a voulu prêter des ambitions qu’elle n’a peut-être même pas envie d’assumer. Make Dua Lipa simple again.