Rack
The Jesus Lizard
Groupe culte de la scène de Chicago, The Jesus Lizard fait figure de mètre étalon noise-rock depuis 1990. Moins populaire que Nirvana ou Pearl Jam, le quatuor s’est pourtant taillé une réputation en béton armé, aux côtés des légendaires Shellac et Slint, tant pour sa discographie racée que pour ses shows explosifs.
Quiconque a déjà vu ces bestiaux en concert en est resté marqué au fer rouge. Et celles et ceux qui ont eu la chance d'assister à leur retour scénique fracassant en 2007 à la Villette à Paris savent qu'ils ont assisté ce soir-là au plus grand concert de rock de tous les temps. Rien que ça. Voilà de quoi mesurer l'excitation d'une communauté de fans en PLS depuis que The Jesus Lizard a annoncé la sortie d’un nouvel album studio, le premier depuis… 1998. Si les fans de Tool ont dû attendre 14 ans avant la sortie de leur dernier opus, imaginez l'effervescence d’un public qui a rongé son frein, ses jeans troués et ses chemises en flanelle râpées depuis 26 ans.
Rack ne s'encombre pas de préliminaires inutiles. "Hide and Seek", qui ouvre l'album, frappe directement à la jugulaire et dépoussière la recette complexe d'une discographie sans aucun faux pas. Derrière son micro, David Yow s'égosille toujours comme une bête échappée de l'abattoir. Ses hurlements toxiques contrastent furieusement avec la précision chirurgicale d'un ensemble guitare basse batterie réglé au millimètre. C'est d'ailleurs ce qui a toujours fait la singularité du son de The Jesus Lizard : les acrobaties d’un frontman possédé d'un côté, des compositions punk blues noise rock acérées servies par de vrais virtuoses de l’autre. Qu’il s’agisse du jeu de guitare tout en subtilité de Duane Denison, des lignes de basse claquantes et répétitives de David Wm Sims ou de la batterie punitive de Mac McNeily, un morceau de The Jesus Lizard se repère à des kilomètres, même après un silence d’un quart de siècle.
Le ton étant donné, l’album défile comme une évidence et alterne entre aboiements baveux ("Alexis Feels Sick", "Moto(R)"), coups de boule impulsifs ("Grind") et plages plus posées et mélodiques ("What if ?", "Armistice Day"). Le disque sonne comme l’ultime rescapé d’une époque révolue : un temps où l’industrie des majors a cassé sa tirelire pour offrir des ponts d’or aux groupes les plus bruyants (le deal d’Helmet à un million de dollars) avant de subitement couper les vannes. L’histoire aurait pu être fatale à The Jesus Lizard, puisque Capitol Records a payé le groupe pour ne pas sortir le troisième album que la major s’était pourtant engagée à publier, précipitant ainsi sa mise au placard en 1998. 26 ans plus tard, voilà une belle revanche pour ces gaillards avec un disque qu’on n’espérait plus et qui fait mieux que répondre aux attentes. Et si The Jesus Lizard venait simplement de nous chier l'un des albums rock de l’année ?
Avant de conclure, prenons le temps de célébrer comme il se doit le jeu de guitare de Duane Denison. Sur Rack, il marche littéralement sur l’eau et distille ses riffs au phrasé blues punk comme d’autres distribueraient les pains. On ne rendra jamais justice au génie de ce gars, qui malgré une discrétion troublante, a écrit à lui seul tout un chapitre de l’histoire du rock des 30 dernières années. Jamais une note de trop, jamais une faute de goût, mais toujours ce sens de la mélodie qui passe naturellement d’un arpège bluesy au tremblement de terre qui pousse l’ampli dans le rouge vif. La définition même de l’anti guitar hero… comme on n’en fait plus depuis les nineties.