Queen
Nicki Minaj
Quatre longues années se sont écoulées depuis The Pinkprint, pourtant, pour des millions de Barbz, Nicki Minaj est restée cette divinité qui mérite sa place au sommet de la pyramide du rap ; une reine des sables qui s’est muée en sex symbol de toute une génération ; une Cléopâtre des temps moderne dont les nombreux charmes servent inlassablement ses envies de grandeur et de domination. Logiquement, Queen se positionne comme le tableau dépeignant sa suprématie. Mais gare aux mirages…
Tout d’abord, parlons chiffres: pour une artiste qui a bâti sa réputation sur sa capacité à rivaliser avec ses homologues masculins sur le terrain ô combien glissant du Billboard, il est impossible de ne pas prendre en compte la performance commerciale décevante du blockbuster Queen: la « number one female rapper », la bad bitch autoproclamée reine se prend une claque digne de la circonférence de son arrière-train: malgré des chiffres tout à fait honnêtes, Queen est surtout resté planté derrière l’ASTROWORLD de Travis Scott pourtant sorti la semaine précédente. Une énorme déception pour l’Instagrameuse aux 91 millions de followers qui fera éclater sa colère dans une série de tweets accusant explicitement Spotify de ne pas l’avoir soutenue autant que Drake. Mais le mal est fait: cette médaille d'argent est vécue comme un échec. Il fallait donc espérer que le contenu du disque puisse sauver l’année 2018 d’Onika Maraj.
Le ballet s’ouvre sur le timide « Ganja Burns » qui coche la case du single inoffensif dont la hype a déjà fini de produire ses effets. Ensuite, après l’intervention d’un Eminem aussi efficace que gênant, on en vient au polarisant « Barbie Dreams », soit une reprise plutôt bien sentie de Notorious B.I.G. sur laquelle Nicki Minaj s’attaque à la sensibilité de Drake, à l’obésité de DJ Khaled ou aux choix vestimentaires Young Thug sur la pochette de Jeffery. En gros, on tient là un diss track plein d’humour mais dont le texte manque clairement de piquant pour être pris au sérieux - on est à des années lumières des exactions d’un Pusha T qui, plus tôt cette année, avait enterré, puis déterré, puis enterré le corps sans vie de ce pauvre Drake. Et pourtant, « Barbie Dreams » est une des pistes les plus captivantes du disque car, malgré le côté bon enfant des attaques verbales, Nicki Minaj semble prendre un vrai plaisir à rapper et saisit l’opportunité pour nous renvoyer à son (désormais mythique) couplet sur « Monster ». Le gros souci, c'est qu'on tient là un bol d’air frais sur un album brouillon, qui se cherche et manque clairement d’une ligne directrice. Plus imprévisible qu'un dribble de Mbappé, Queen laisse apparaître trop d'émotions différentes, trop de personnalités pour qu'on puisse s'attache au disque - encore aujourd'hui on ne sait trop à quelle Nicki Minaj on a affaire. Pris en tenaille entre changements d’ambiance et d’humeur, l'auditeur perd le fil d'un disque qui n'en a peut-être jamais eu... A ce titre, l’enchainement « Come See About Me » / « Sir » symbolise la direction artistique piteuse qui caractérise ce disque, puisqu'on bascule d’un titre plutôt calibré pour Taylor Swift à un street-banger rehaussé de la présence de Future. Mais dans l'absolu, rien de bien neuf sous le soleil quand on y réfléchit bien: sans réelle profondeur artistique Queen se place maladroitement dans la lignée des précédents albums de la tigresse de Beverly Hills.
Musicalement, Queen est à la hauteur de nos craintes: un disque qui prouve uniquement que Nicki Minaj est capable de faire aussi bien que la concurrence – coucou Cardi B. En choisissant délibérément de limiter son univers artistique à la divinité de son corps, la vastitude de son portefeuille et la préciosité de son entrecuisse, Nicki Minaj se laisse prendre en traître par un égo surdimensionné alors qu'on était en droit d'attendre enfin d'elle un projet sur lequel elle prend enfin de la hauteur histoire de livrer un objet à la hauteur de son talent hors-norme. Mais on se retrouve deux mois plus tard avec un disque que tout le monde ou presque a déjà oublié - et c'est tant mieux. Comme le disait déjà le prophète Kanye en 2015: « Girls be actin' like it's diamonds in they coochie / I don't give a fuck, I don't give a fuck ».