Que La Famille
PNL
C'est un fait: il n'existe plus de formule miracle pour faire un album de rap français qui se vend. Certains ont beau avoir un talent fou et une street cred hors-norme, ils se retrouvent éclipsés par des militaires ratés sortis de Roubaix qui signent en major à la seule force d'un single narvalo. Commercialement parlant, on se dit donc qu'il n'y a plus grand chose d'autre à faire que d'accoucher d'un produit le plus proche possible de Migos. En fait, on donne si peu de chance à un quelconque changement qu'on ne sait pas trop quoi faire du cas PNL, tandem qui s'inspire davantage de la trap chelou de gens comme Lil Durk ou Chief Keef. Et comme si c'était pas assez compliqué comme ça, ces deux-là ont à la fois la chance et le malheur de sortir du 91. Soit ce petit bout de banlieue qui a vu naître Sinik et Juicy P. Autant dire que pour la brasse dans un océan de billets violets, c'est pas tout à fait gagné d'avance.
En préliminaire, il apparaît donc nécessaire de préciser qu'on a mis du temps à se convaincre du bien-fondé de ce papier. Voilà déjà quelques publications qu'on se fatigue du rejet viscéral par notre lectorat du combo rap/autotune – coucou Booba. Cette association remue en tout cas un tel raz-de-marée de négativité qu'on essaie autant que possible de tuer dans l’œuf cet amour impossible avec cette frange du rap français. Excusez-nous donc si l'on s'abstient de mettre des gants: ce projet est désormais trop installé dans nos têtes pour qu'on puisse faire demi-tour. Ça fait en effet un mois et demi déjà que Que La Famille occupe nos têtes, et l'impressionnante alchimie qui règne entre Adamo et N.O.S est loin d'y être étrangère. Mais c'est surtout, à l'instar du Kanye West post-Graduation, l'usage mesuré de l'autotune qui finit de nous achever. Loin d'être utilisé comme un simple gage de modernité, c'est par souci d'authenticité que l'outil est invoqué, afin d'étaler la palette d'émotions la plus vaste possible sur une peinture gris béton.
"Authenticité", ça y est, le mot est lâché: la chose qui prime chez PNL, c'est ce quelque chose d'infiniment franc et naturel qu'on ne trouve pas ailleurs. D'abord dans cette volonté de ne pas renoncer à l'argot de cité, où la "hass" et le "visser" sont rois. Ensuite et surtout dans ce rôle de grands frères aux pieds d'argile qu'ils incarnent à merveille, à l'exact opposé de la figure du rappeur invincible. A la fois fragiles lorsqu'il s'agit d'aborder la famille, et conquérants lorsqu'il s'agit de parler d'avenir, le duo confronte la gravité de ses mots à l'apesanteur de leur son. Le résultat ? C'est une musique émotionnelle et nostalgique, vecteur d'un certain malaise dans la reconstitution du quotidien. Elle témoigne en tout cas d'un rapport à la réalité qui est très fort, et qui touche invariablement – plus particulièrement sur les six minutes de "Différents" ou sur l'incroyable "Recherche Du Bonheur".
"On n'a rien et on en veut encore". Finalement, c'est peut-être cette seule phrase qui saura le mieux résumer la force de frappe de PNL: encore dans le néant deux mois plus tôt, le tandem des Tarterets a réussi l'exploit de sortir de l'ombre avec un disque bourré d'ambition. Un vrai beau braquage. Dans ce contexte, il y a fort à parier que PNL se retrouve au centre de pas mal d'attentions dès leur prochain album – ça tombe bien, celui-ci est déjà dans les tuyaux. Pour notre part, on n'a aucun doute sur leur capacité à transforer l'essai. Et quand bien même on se tromperait, le mal est déjà fait: Que La Famille s'est déjà imposé comme l'extraterrestre qui botte le cul d'un rap français qui a un peu trop pris l'habitude d'agir par calques. L'avenir leur appartient, à eux de savoir maintenant ce qu'ils aimeraient en faire.