Quattro
Tanz Mein Herz
Il y a beaucoup de façons de réinventer la musique traditionnelle française. Les musiques du territoire Occitan, en particulier, sont en plein renouveau actuellement, après des boums dans les années 70 puis 90. Les chemins empruntés sont nombreux. Emmanuelle Parrenin choisit la rencontre, en s’associant avec Toulouse Low Trax. Depuis la ville de Pau, Artùs choisit depuis bientôt vingt ans la voie de l’expérimentation, en passant le répertoire gascon à la moulinette rock prog. Plus sages sur le papier, San Salvador ou Cocanha sont dans la ré-interprétation, en insufflant une énergie nouvelle aux textes anciens. Et puis il y a ceux qui font tout exploser. Ceux-là sont réunis autour du collectif La Nòvia, et des projets parallèles réunis sous le label Standard In-Fi.
Ce dernier a été créé par le bassiste du génial trio drone / kraut France, Jérémie Sauvage, pour accueillir des projets plus expérimentaux. Quand on entend l'intransigeance du groupe de départ, ça donne déjà une idée de ce qui nous attend. Parmi les différentes têtes du label, on peut vite être perdu devant leurs échanges incessants. Pour aller vite, dans Tanz Mein Herz, on retrouve des membres de France, Faune, La Tène ou Sourdure. Sachant que les vases communicants fonctionnent déjà à plein régime entre ces différents projets. Pour ceux qui veulent s’y pencher, on conseille ce joli guide publié par Bandcamp en début d’année.
Ce qui distingue Tanz Mein Herz du reste ? C’est sûrement celui où l’expérimentation est poussée le plus loin. Le groupe est en quelque sorte la vitrine de Standard In-Fi. L’idée est de pousser toutes les envies au maximum, notamment en ce qui concerne les inspirations harsh noise (abandonner toute hauteur et rythmique définies pour se concentrer sur un mur de bruit blanc), drone ou free. Le tout, bien sûr, à partir de jam sessions entre potes. Au final, ce qu’il reste de traditionnel là-dedans est assez léger, à savoir essentiellement quelques drones de vielle à roue. Mais cela suffit à démarquer le groupe.
On arrive donc à ce nouvel album, double disque de pure transe qui avance plus lentement qu’un escargot sous kétamine. Dès le premier titre, l’ambiance est posée, avec ce drone minimaliste à l’extrême étiré sur onze minutes - en fait, la cornemuse de Pierre-Vincent Fortunier. Les choses se font moins rudes par la suite, et on découvre avec bonheur que le groupe n’abandonne pas pour autant toute idée de groove ou de mélodie. Tout à coup, émerge une ligne de basse, une rythmique, une boucle à laquelle se raccrocher, et qui vient nous faire plonger dans un autre terrier sonore. Mention spéciale à la face C du disque, "Spiegel Haus", avec sa mélodie de vielle à roue hantée et sa rythmique krautrock au ralenti. On se surprend alors à se laisser bercer, à se lover dans cette musique. Et c’est dans ce lâcher-prise qu’on peut saisir la douceur méditative de l’expérience.
Ne nous voilons pas la face : le but reste la plongée dans la folie, le trip qui nous fait vriller le cerveau. Chaque répétition de la boucle, chaque micro-évolution du morceau, basé avant tout sur des textures vibrantes, nous enveloppe chaque fois un peu plus. Et autant le dire : toute résistance est vaine. Parce que même si on n’a pas non plus affaire à un profond renouveau du genre, on a ici droit à un très bon cru. C’est juste qu’on va conseiller ça à ceux qui sont déjà passés par les derniers albums de Godspeed You! Black Emperor, ou les premiers albums de Neu ! Ou tout simplement ceux qui aiment abandonner totalement leur volonté dans des expériences d’autohypnose musicale. On ne juge pas. On fait bien pire chez nous.