Quarantine The Past
Pavement
Jamais il n'aura été aussi réjouissant de traiter quelqu'un de branleur. Stephen Malkmus en est un, un authentique, à l'attitude vraiment légère et à l'inconséquence totale. Il ne sait pas chanter, c'est terrible, chaque prise de voix sonne comme une première initiation au monde des studios. Et pourtant, systématiquement, c'est une décharge d'émotion brute qui se produit en nous. Pavement, c'est tout le rock'n'roll que l'on aime rêver, avec sa liberté sans limite et sa dégaine de mal lavé. C'est le sublime de l'erreur qui devient organe fédérateur, la magie du raté glorifié, l'état d'esprit punk appliqué aux chansons pop.
Tout au long de leurs cinq albums studios, les Pavement ont cultivé un goût immodéré pour une impropreté qui, conjuguée à une soif inextinguible pour les surprises, ont fait d'eux l'un des groupes les plus influents de leur génération. C'est bien simple: quiconque s'intéresse suffisamment à l'indie rock ne peut faire l'impasse sur leur discographie. Pas que les Pavement soient vraiment des visionnaires, non, pas qu'ils soient même des précurseurs – leur caractère obligatoire ne doit en fait rien à des programmes historiques un peu trop chargés ; si l'on ne peut pas se passer d'eux, c'est bien plutôt parce qu'ils incarnent une vérité qu'eux seuls peuvent aussi bien porter. Moins maniérés que les Pixies, moins changeants que Yo La tengo, moins sérieux que Sonic Youth et pas prostrés dans la blague comme Weezer, les Pavement font office, presque à notre surprise, de paradigme ultime du groupe lo-fi à la cool. Très à l'écoute des genres voisins, curieux comme pendant des premiers pas d'enfants, les Pavement ont aggloméré dans leurs trois chef-d'oeuvres (Slanted and Enchanted, Crooked Rain, Crooked Rain et Wowee Zowee, tous trois sortis entre 92 et 95) tout ce qu'il y a de bon et vénérable dans l'indie-rock : une fraîcheur sans nom, un optimisme guilleret, qui n'érode aucun romantisme, et une complète latitude stylistique. Plonger dans un disque de Pavement, c'est en effet tout à la fois un bain de jouvence et une odyssée sentimentale, une leçon de rock et un brouillon de journal intime. Pour cet équilibre ténu, les Pavement, modestement, se sont vus propulsés en première ligne d'un college rock sans âge.
Aujourd'hui, Malkmus et ses acolytes se sont reformés pour jouer sur scène. Histoire de faire le point, Domino a jugé bon de sortir un best of, Quarantine The Past. De ce best of nous ne dirons pas grand chose, si ce n'est que comme toute compilation, elle a ses bons choix et ses oublis. Vingt-trois titres, même si le menu est copieux, ne résumeront jamais assez un groupe comme Pavement. Mais est-ce important dans la mesure où, quoiqu'il en soit, même pour le plus jeune de nos lecteurs, cette rétrospective ne peut être qu'un passage. Un passage pour s'engouffrer dans une découverte plus intime et exhaustive de la discographie des géniaux Californiens.