Quaranta
Danny Brown
Il est encore trop tôt pour dire si le teasing entourant la sortie de ce nouvel Danny Brown a été malin ou trompeur. Mais une chose est déjà sûre : il n’a pas manqué d’avoir son effet sur les fans de la première heure que compte la rédaction. En effet, quand Warp Records annonce l’arrivée de Quaranta, le communiqué de presse ne manque pas de reprendre les propos du rappeur qui considère le disque comme le compagnon de XXX (il parle d’une « suite spirituelle »), sorti dix ans plus tôt sur le label d'A-Trak. XXX, comme son âge à l’époque, Quaranta comme son âge aujourd’hui, et la période pendant laquelle l'album a été conçu – car oui, on n’en a visiblement pas encore terminé avec les disques covidés. Sans trop revenir sur cette parenthèse désenchantée pour les artistes, il ne faut pas s'appeler Sigmund Freud pour imaginer l'impact qu'elle a pu avoir sur un artiste comme Danny Brown, dont la fragilité mentale et les démons qui le rongent sont bien connus.
Et alors que le début de l'exercice 2023 avait été sévèrement burné avec SCARING THE HOES, album bordélique pensé avec JPEGMAFIA (soit l’artiste qui lui ressemble le plus dans l’actuel ecosystème rap US), Quaranta s'invite dans nos quotidiens avec son lot de questions existentielles, de pensées tristes et d'ambiances grisâtres. En réalité, ce sixième long format, le troisième déjà pour Warp, est à peu près tout ce que l’on n’attendait pas d’un disque que Danny Brown nous teasait déjà en 2020 – ça en fait du temps pour s’en faire sa propre idée. Mais le ton est donné dès les premiers mesures : rôdant comme une âme en peine autour d'un sample de guitare, Danny Brown se veut lucide sur le temps qui passe et ce qui lui a donné ce rap jeu - "This rap shit done saved my life / And fucked it up at the same time / That pain in my heart, I can't hide / A lot of trauma inside". Et si le morceau qui suit, épileptique à souhait et produit par The Alchemist, pourrait nous faire penser que le Danny Brown de Old ou Atrocity Exhibition est dans les starting blocks, le reste du disque reste dans cette veine introspective, amère ou carrément glauque, comme sur les très bons « Jenn’s Terrific Vacation » (où il est rejoint par le batteur Kassa Overall) et « Down Wit It » ("Thought I knew everything, but don't know shit / That's why I'm so sick" peut-on l’entendre dire). D’ailleurs, ce changement de cap se ressent plus que jamais sur son rap, moins nasillard et plus grave, comme pour mieux nous amener vers la fond alors qu’on tenait là un rappeur dont le principal X factor résidait jusque-là dans la forme.
Face à une proposition aussi désarçonnante (venant pourtant d’un artiste connu pour ça), il est encore difficile de cibler les intentions véritables du disque, et de bien comprendre ce qu'il représente dans la carrière de Danny Brown. Évidemment, il est facile d’être déçu parce que le résultat ne correspondrait pas à nos attentes. Ce serait déjà oublier les qualités évidentes d’une bonne partie des titres de ce Quaranta qui s’égare parfois, c’est vrai, mais qui a le mérite de ramener Danny Brown sur le droit chemin, celui d’une vie et d’une santé mentale meilleures. En ce sens, Quaranta est une petite victoire, et on devrait s’en réjouir vu l’amour qu’on lui porte.