Punk
Young Thug
Le peintre Octavio Ocampo est un artiste mexicain surréaliste, mondialement connu pour sa technique picturale de la Métamorphose. Ses tableaux suscitent la curiosité du spectateur, et peuvent être interprétés de plusieurs manières en fonction de la distance et de l’angle d'où on les observe. En 1989, il peint le célèbre Forever Always dont l’illusion d’optique qu'il provoque a visiblement inspiré Young Thug pour la couverture de son nouvel album. En effet, ce dernier remplace tout simplement les deux fermiers mexicains de la version originale par son propre profil. Ses dreads violets, sa posture assise qui forme son visage, le puits de lumière au centre du tableau, le violoncelle qui fait également office d’arc à Cupidon… on pourrait écrire tout un article sur la signification de chaque élément de l’artwork, tant le détail apporté est absolument remarquable. Punk remporte donc, haut la main, la palme de la meilleure couverture d’album rap de l’année. L’emballage est convaincant, mais qu'en est-il du contenu ?
A notre grande surprise, Punk s’ouvre sur un monologue poignant durant lequel Young Thug s’expose comme il ne l’avait fait que rarement auparavant. Avec « Die Hard », et son instru minimaliste composée d’un simple riff de guitare, le rappeur aborde des évènements tragiques de sa vie antérieure, bien avant la fortune et la célébrité. Des relations houleuses entre ses frangines jusqu’à l’hospitalisation de sa maman, on se laisse porter par ces récits autobiographiques racontés avec un timbre de voix clair, qui s’éloigne de ses habituelles envolées dont on cerne souvent difficilement les contours. Car oui, au fil des années, Young Thug a fait de ses cordes vocales un véritable instrument ; sa voix étant un élément mélodique à part entière, qui contribue grandement à l’énergie déployée sur chaque couplet ou refrain. Tout a toujours été une question d’énergie, d’atmosphère et d’harmonie chez Thugga. Ainsi, chaque nouveau projet est davantage une aventure sonique qu'une démonstration lexicale, comme pourrait l’être un disque de Jay-Z ou Kendrick Lamar par exemple. Néanmoins, sur Punk, Young Thug change de paradigme et appui davantage sa plume – et cela se ressent dès les premiers instants.
Mais les fans peuvent être rassuré·es : vous ne serez pas totalement déboussolé·es par ce second album studio. En effet, vous retrouverez l’énergie débordante de So Much Fun sur le banger bouillonnant qu’est « Rich Nigga Shit », et vous remémorerez l’époque de Beautiful Thugger Girls grâce aux nombreuses touches de guitare acoustique présentes sur le disque. Pour autant, Punk est plus qu’un simple condensé de la riche discographie de Young Thug. Sur ce nouveau projet, le rappeur d’Atlanta a le mérite de se challenger et explore un univers pop, aux antipodes de ses premières mixtapes totalement dévouées à la trap d'Atlanta. Portée par des mélodies apaisantes, cette ambiance nouvelle est parfaitement illustrée par des pistes comme l'exceptionnel « Love You More », porté par une instru aux petits oignons de Metro Boomin ainsi qu’une intervention impeccable de Nate Ruess, le chanteur de Fun.
Côté performance commerciale, un élément essentiel pour un rappeur comme Young Thug, le MC de 30 ans n’a également que peu de souci à se faire. En réunissant la Sainte Trinité sur « Bubbly », il s’assure une place d’honneur dans les classements hebdomadaires du Billboard. Il en va de même pour le titre en compagnie de Post Malone et A$AP Rocky, qui trouvera aisément preneur sur le marché américain. Pour autant, on émet de sérieux doutes quant à la replayvalue de certains titres, en ce compris les deux singles que l’on vient de citer. En effet, même si le disque a le mérite d’explorer des univers nouveaux, la tracklist est, une fois de plus, beaucoup trop longue et désorganisée. Au-delà de certains ratés comme « Yea Yea Yea » ou l’inaudible « Icy Hot » – merci Spotify pour la nouvelle fonctionnalité « Masquer » –, ce nouvel album manque clairement d’une structure cohérente et de points de repères soniques ou thématiques qui permettraient, à long terme, d’assurer une envie quelconque de réécouter le disque dans son entièreté. Parfois inconstant, souvent prodigieux, Punk est à l’image de son interprète : unique, fascinant et totalement imprévisible, ce qui le rend si indispensable dans cette industrie du paraître dont il a maîtrise les codes mieux que personne.