Prospekt's March
Coldplay
Quoi que l'on pense de Coldplay, de leur pop proprette, du charisme de leur chanteur, aussi sexy qu'une crevette asthmatique, de leur modestie affichée, dont on se demande si elle est feinte ou bien réelle, il faut bien reconnaître que leur dernier album, enregistré sous les auspices de Brian Eno, est une belle réussite et sans doute l'un des plus jolis disques sortis cette année. Non, les Anglais emmenés par Chris Martin ne sont pas affreux, sales et méchants comme les Cold War Kids, avec lesquels ils ne partagent qu'un adjectif ; oui, ils plaisent aux mamans, aux petites sœurs et aux marketeux de chez Apple. Toujours est-il qu'ils savent y faire au rayon jolies mélodies et que leur musique a singulièrement gagné en intensité avec ce Viva la Vida franchement épatant.
Les sessions d'enregistrement ayant été particulièrement fructueuses aux dires des membres du groupe, Coldplay a décidé d'en sortir une extension, six mois après Viva la Vida, sous la forme d'un maxi de huit titres plus ou moins inédits, Prospekt's March, encore une fois illustré par un tableau de Delacroix, qui ne peut réellement se comprendre sans l'album auquel il est intimement lié, et avec lequel il est d'ailleurs dorénavant vendu. Les lately adopters apprécieront, tandis que les acheteurs de la première heure n'auront qu'à passer à la caisse – ils ont l'habitude.
Concrètement, le disque s'ouvre avec "Life in Technicolor II", qui n'est ni plus ni moins que "Life in Technicolor" avec des paroles. On se souvient que la présence de cet instrumental en ouverture de Viva la Vida avait agréablement surpris, certaines mauvaises langues considérant qu'un titre de Chris Martin était bien meilleur sans Chris Martin au chant. N'entrons pas dans la polémique, constatons seulement que le morceau, dans cette version chantée, possède un peu moins d'intérêt que dans sa version instrumentale. On y ressent en effet beaucoup moins le souffle épique qui traversait cette dernière et il faut bien dire que les textes ne sont pas franchement transcendants au point de se rendre indispensables.
La première vraie et bonne surprise arrive en deuxième position sur le disque : "Postcards from Far Away" est une magnifique ballade instrumentale, au piano, très proche de ce qu'a pu faire Gonzales sur son excellent album Solo Piano. D'une durée malheureusement beaucoup trop courte (moins de cinquante minuscules secondes), ce titre apporte en tout état de cause de l'eau au moulin des vils polémistes décrits ci-dessus. Heureusement, la deuxième surprise de cet EP est un morceau chanté, "Rainy Day", qui, comme son nom ne l'indique pas, est un titre particulièrement bondissant, mené par une boîte à rythme et des synthétiseurs tout à fait exceptionnels chez Coldplay, qui aurait clairement eu sa place sur l'album. Un aperçu d'une éventuelle direction artistique ?
Malheureusement, et même si cela fait plaisir de retrouver les Anglais si vite après leur dernier album, on ne peut s'empêcher de trouver un arrière-goût amer à ce Prospekt's March, si l'on tient compte du fait qu'il comprend deux remixes totalement dispensables, l'un de "Lovers in Japan", ne comportant que d'infimes différences avec le morceau original, et l'autre de "Lost", marqué par la présence du rappeur Jay-Z, qui rappelle les pires heures de Placebo, lorsque Brian Molko s'était essayé au hip-hop sur Black Market Music avec la pathétique "Spite & Malice". Loupé, donc.
Et ce ne sont pas les trois autres titres inédits, "Glass of Water", "Prospekt's March" et "Now My Feet Won't Touch the Ground", plutôt jolis mais extrêmement platounets et mineurs, qui ôteront à l'auditeur cette sensation d'avoir un peu payé pour du vent. Il suffit, à cet égard, de réécouter Viva la Vida pour se rendre compte de l'immense fossé qui sépare ces gentilles Faces B des enthousiasmants "Viva la Vida" et "Violet Hill".
Bien entendu, les fans se rueront sur ce maxi, sorte de dessert très léger après un repas, en l'occurrence Viva la Vida, plutôt copieux et de qualité. Les autres pourront passer leur chemin et continuer leur marche dans l'indifférence la plus totale.